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Hiroshi Sugimoto, William Forsythe
Non, il n’y a pas d’erreur. Les deux noms d’artistes composant le titre de cet article sont bien ceux mis en avant sur l’ensemble des supports de communication (programmes, site, affiches etc.) du spectacle de danse donné ce mois au Palais Garnier. Or, si William Forsythe est chorégraphe, ô combien, Hiroshi Sugimoto est connu comme plasticien, photographe et vidéaste (son court métrage Breathing sur le solo Ekstasis de Martha Graham, interprété par Aurélie Dupont, a été mis en ligne sur la 3e Scène de l’Opéra de Paris). Au même titre que Forsythe pour son enthousiasmant Blake Works 1, Sugimoto est donc crédité comme auteur principal de la création mondiale présentée en première partie, At the Hawk’s Well. Il faut attendre la quatrième ligne (!) de la feuille de salle pour voir apparaître le nom du chorégraphe, Alessio Silvestrin, un ex assistant de Forsythe.
De fait, plus qu’une pièce véritablement chorégraphique, At the Hawk’s Well est essentiellement un travail de scénographe, de créateur lumière et de plasticien, où la dramaturgie procède d’une composition visuelle plutôt que d’une gestuelle. Ce qui, une fois le rideau baissé, demeure de cette succession de belles images, ce sont des éclairages raffinés, des tableaux éclairés par la présence de Hugo Marchand et Alessio Carbone ou par l’apparition spectrale de l’acteur de théâtre nô de Tetsunojo Kanze, et de séduisants costumes japonisants signés Rick Owens, le tout baigné d’une musique électro juste comme il faut de Ryoji Ikeda.
Galerie photo © Laurent Philippe
Mais de danse, hormis quelques ensembles évoquant un Forsythe au ralenti et des solo/duo empêchés par l’ampleur des robes, si peu… Quant à l’argument adapté d’une pièce écrite en 1916 par le poète irlandais Yeats - une femme épervier garde un puits asséché devant lequel un vieil homme attend le retour de l’eau miraculeuse -, il demeure relativement obscur et l’on a le sentiment que ce savant dosage de philosophie orientale et d’esthétisme pourrait convenir à n’importe quelle histoire.
Sans doute le choix de cette création en ouverture de saison illustre-t-elle le fait que, malgré ses trois cent cinquante ans, l’Opéra de Paris se nourrit toujours au présent des artistes de son temps. Mais pourquoi, en ce cas, avoir choisi un chorégraphe dont l’écriture peine autant à exister face à la triplette de talents reconnus que sont Sugimoto, Ikeda et Owens ? Dommage aussi que le public ait été privé en la circonstance d’une de ses friandises favorites, à savoir le défilé du corps de ballet réservé cette année aux seuls spectateurs de la soirée de Gala. Lesquels ont eu également le privilège de découvrir une nouvelle production des Variations de Serge Lifar, parmi un ensemble de pas de deux donnés en lieu et place At the Hawk’s Well…
Heureusement, la seconde partie du programme offrait de quoi oublier ces déconvenues. Même déjà vu à plusieurs reprises, y compris dansée par le Boston Ballet au répertoire duquel il est entré cette année, Blake Works 1 n’a rien perdu de son charme puissant.
Galerie photo © Laurent Philippe
Il se bonifie même à la reprise, comme l’attestait la belle interprétation d’une troupe visiblement heureuse d’être sur scène, et qui a dansé avec virtuosité cette succession d’hommages au langage académique bien plus exigeants qu’ils n’y paraissent.
A notre bonheur manquait juste François Alu, dont le duo lors de la création du ballet en 2016 avait durablement imprimé la rétine. Mais Marion Barbeau, Léonore Baulac, Paul Marque et Hugo Marchand, pour ne citer qu’eux, comblaient amplement les regards. Tout en dégageant toujours la même énergie joyeuse, la pièce exhalait cette fois, semble-t-il, un parfum plus sensible de nostalgie, porté par la musique complexe de James Blake.
Galerie photo © Laurent Philippe
Ce cocktail subtil et pénétrant était particulièrement en phase avec un dimanche de première qui était en même temps le premier jour de l’automne.
Isabelle Calabre
Vu à l’Opéra Garnier le 22 septembre. Jusqu’au 15 octobre.
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