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« Zooming in on Loss » d’Ann Van den Broek
Autant installation que concert chorégraphique, un trio sombrement méditatif évoque le vertige de la perte de soi.
Sentir sa mémoire s’évaporer. Faire face à la perte des facultés mentales chez un(e) proche. Plonger dans un état de confusion et d’angoisse... Voilà ce que veut évoquer ce deuxième volet de la trilogie The Memory Loss Collection, projet de création actuel de la chorégraphe néerlandaise Ann Van den Broek qui interroge les effets de la perte de mémoire sur nos corps, nos émotions et nos activités quotidiennes. Zooming in on Loss prend la forme d’un spectacle qui a oublié à quel langage il appartenait avant de prendre forme. Concert, performance, installation ou pièce de danse ?
Le public n’a pas le temps de se poser ces questions quand il prend place au sol, autour d’un cube fait de tubes, de câbles, de micros, de caméras et d’écrans. Les trois interprètes évoluent à l’intérieur et autour de cette structure ouverte qui révèle tout au lieu de cacher. Et pourtant ils s’y perdent comme dans un labyrinthe. Leurs gestes, leurs phrases et les boucles sonores tissent un filet de ritournelles et de litanies duquel il est impossible de s’extirper.
Créé dans le ventre de la péniche La Pop sur le Bassin de la Villette, Zooming in on Loss mérite bien son nom. Ces visages et regards vides, ces gestes presque désincarnés, ces vertiges intérieurs et ces présences-absences pourraient parler de burn-out ou de transe, à travers les corps et les textes écrits par Gregory Frateur: « Il y a une absence dans le visage dont les miroirs se détournent. »(1)
Il s’en dégage une sensation de perte et de glissement, jusqu’à ce que l’obscurité soit brièvement supplantée par une lumière éclatante. La perte évoquée dans le titre est donc bel et bien une affaire de passage, comme le dit cette partie du livret : « A partir de maintenant, vous êtes quelqu’un d’autre. »(1) Dans leur état de confusion et de panique, de plus en plus torturés au cours du spectacle, les trois protagonistes semblent entendre des voix venant d’un autre monde, de plus en plus obsédantes.
Les ambiances sombres de ce travail entre art chorégraphique, plastique, musical et visuel s’inscrivent parfaitement dans les recherches transdisciplinaires d’Ann Van den Broek et la touche personnelle de son travail sur l’intensité émotionnelle contemporaine. Mais Zooming in on Loss nous plonge autant dans l’univers expérimental underground des années 1980 et 1990, et donc dans une époque artistiquement révolue. Ce trio a certes le mérite de trancher avec les conventions du spectacle frontal, et en France cela mérite en soi d’être relevé. Mais il n’envoie pas de signal d’ouverture ou de renouveau. Qu’on le regarde comme un objet actuel, futuriste ou passéiste dépend donc de la mémoire de chacun.e.
Thomas Hahn
Vu le 6 avril 2019, Paris, péniche La Pop
Concept, régie et chorégraphie : Ann Van den Broek
Avec : Louis Combeaud, Marion Bosetti, Gregory Frateur
Conception audiovisuel et lumière : Bernie van Velzen
Scénographie : Niek Kortekaas
Assistanat artistique : Nik Rajšek
Composition musicale et texte : Gregory Frateur et Ann Van den Broek
Paroles : Gregory Frateur
Conception sonore : Nicolas Rombouts
Stylisme des costumes : Ann Van den Broek
(1) Traduction du texte original du spectacle qui est en anglais.
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