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« Double programme Extradanse » : Martin Schick et Pere Faura
Extradanse, titre générique du festival strasbourgeois de Pôle Sud, signifie-t-il que la danse y soit « extra » ? Pas certain.
Les deux pièces découvertes à l’éclosion du printemps, celle de Martin Schick, Halfbreadtechnique, et celle de Pere Faura, Sweet Tyranny, ressortent de ce qu’on appelle, depuis les années 70 – si l’on en croit le regretté Daniel Charles – « performance ». C’est-à-dire d’une notion floue et attrayante qui, depuis, a fait florès – le mot fut employé par Victor Hugo dans L’Homme qui rit dans son sens anglo-saxon de représentation théâtrale, et dériverait de l’ancien français « parformer ». Commençons par le dernier opus de la soirée, Sweet Tyranny, qui pose certaines questions et en résout d’autres.
Le Kitsch, c’est cheap
Pere Faura a fait le déplacement avec une « troupe », et non une « compagnie », pour reprendre sa distinction, composée de sept danseurs, complétée d’un ou de techniciens. Tous à sa botte, à ses ordres, à son entière dévotion. Le jeune gens est mégalo ; et il a du bagou, de l’abattage, de la tchatche. En un premier temps – au finale, aussi –, on ne voit que lui. Durant tout le show, on n’entend que lui. Son long speech est amplifié par la sono et capté par un micro HF comme celui de Madonna.
Il est dit en anglais, apparemment, de nos jours, la langue officielle catalane, et est sur-titré en français. Plus que l’ironie sur la toute-puissance du chorégraphe vis-à-vis des danseurs sous-payés, plus qu’un regard distancié ou une critique politique, c’est un relativisme trans-avant-gardiste et une fascination pour son objet qui s’exprime dans les paroles et le comportement du personnage qu’il incarne (différent, en principe, de la personne réelle), mêlés au simulacre démago du partage participatif ou festif. Mais on a une impression de déjà-vu, après avoir assisté, depuis plusieurs saisons, à un retour en grâce de la « culture pop » dans les spectacles contemporains – on veut parler du clubbing, du voguing, de la rave, de la techno, du disco, etc.
Galerie photo © Tristan Perez-Martin
Faura emprunte le concept d’aura à Walter Benjamin uniquement pour le faire rimer avec son patronyme, façon slogan publicitaire. Or le kitsch qui lui plaît tant pourrait être défini comme le contraire de l’aura, vous savez ? toute la bimbeloterie bon marché reproduite en série, tout objet culturel de masse. La beauté cachée du laid (pas seulement des laids !) se voit sans délai, chantait Gainsbourg – cet admirateur de Picabia, créateur d’art mineur, qui eût préféré être artiste peintre plutôt qu’auteur de chansons pop. Le Pop art, à son origine, dans l’Angleterre des années 50, avait une démarche contestataire.
À quoi bon accumuler les signes de l’aliénation de masse (stock shots en noir et blanc et en couleur sur le travail à la chaîne, chorégraphies de girls et de foules de figurants, extraits de musicals avec Travolta, réplique d’Elvis période Vegas projetés sur deux écrans vidéo faisant office de scénographe) si c’est pour s’étourdir dans une banale bacchanale ? Deux numéros sont cependant réussis : la routine de « la fille de Flashdance » exécutée par Javi Vaquero en duo avec l’image du film et le set de DJ animé par la très gracieuse Amaranta Velarde.
Le Fric, c’est chic
Le numéro de stand-up du Suisse Martin Schick, Halfbreadtechnique, est à la fois amusant et très bon esprit. Qui plus est, satirique et d’une grande profondeur. Mine de rien, avec son look décontracté, son petit sac en toile siglé ou griffé « festival d’Avignon » d’où, tel un camelot, il nous déballe nombre de fétiches et de représentations, ainsi que le faisait autrefois le performer américain Stuart Sherman, il a rappelé quelques vérités, bonnes à dire mais aussi de celles qui fâchent ou vous fâchent avec de possibles sponsors – il a ainsi raillé la fondation Nestlé et ses velléités en matière de soutien artistique. Il a moqué les milliardaires américains adeptes du charité business et pratiquants de la Halfbreadtechnique, partage du pain inspiré de la cène christique, déchirure martinienne du manteau, variante du potlatch (= du don, du recevoir et du contredon), analysé en 1926 par Marcel Mauss.
Schick, critiquant le fric, ne va pas jusqu’à brûler un gros billet comme le fit à la télé Gainsbarre ; il se contente de le déchirer symboliquement et d’en donner la moitié à un spectateur pour prendre ensemble un verre en fin de soirée ; il applique à la scène la théorie de partage d’espace et de temps.
Cette conduite rappelle aussi l’art du séparatisme d’un Gil J. Wolman dans les années 80. Schick fait appel d’abord à un danseur recruté sur place, un certain Joël, expert en locking, qui illustre la « danse » tandis que l’auteur se charge du « contemporain » ; puis il demande à des semi-pros et à des amateurs de se porter volontaires. Il divise la scène en deux, puis en quatre, puis en huit, au moyen d’un adhésif de masquage de type Tesa ; il partage son cachet en deux, en quatre, etc. avec ses partenaires d’un soir. Une horloge, il va sans dire, suisse sert de chronomètre à la pièce.
Nicolas Villodre.
Vu le 20 mars 2019 à Pôle sud, Strasbourg.
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