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Les Hivernales 2019 : « i-clit » de Mercedes Dassy

Que signifie aujourd’hui être féministe? Une jeune chorégraphe performeuse répond par un manifeste chorégraphique.

« Avec i-clit, je tente de faire un bilan du féminisme contemporain en me concentrant sur de nouvelles vagues féministes, celles de ma génération », dit Mercedes Dassy et annonce « une célébration » et un « manifeste » pour « une démystification du sexe féminin, de ses chairs intérieurs et de ses fluides, trop souvent exploités ou censurés ».

A travers i-clit, son « féminisme contemporain » revendique la liberté de disposer de son corps et de sa sexualité... Bref, d’être une nymphe ou une Amazone quand on veut, de refuser les normes, d’en finir avec « le vieux mythe du sexe féminin faible ». On l’attendait donc au tournant avec beaucoup de curiosité, pour offrir à l’édition 2019 des Hivernales une note combative. Et elle était au rendez-vous.

C’est sans doute dans l’idée de manifeste qu’il faut chercher la clé de l’écriture d’i-clit qui se décline en plusieurs tableaux et thèmes, alignés comme les paragraphes d’une revendication écrite. Dassy évoque successivement une étoile féminine de la pop (ascendant Madonna) en concert, une introspection de sa sensibilité génitale par écran d’ordinateur interposé, une évocation musicale (tendance punk) de sexe hardcore (par les paroles de la chanson), une rébellion contre la prise de contrôle de son corps par un chorégraphe invisible, et autres appâts lancés à un occident avide d’extrêmes (féminins ou masculins).  

La nouvelle vague : Un ou des féminisme(s) ?

Mais rien n’est plus difficile à assumer et à structurer que la liberté. La Bruxelloise qui fut entre autres interprète chez Lisbeth Gruwez (dans AH/HA) se perd dans ses propres images et messages, jusqu’à ce qu’on se demande si le fait que « de nouvelles vagues du féminisme continuent de se créer et leurs différentes idées parfois s’entrechoquent », comme elle l’affirme dans sa note d’intention, n’a pas parasité l’écriture de ce solo, bien plus que cela ne puisse faire plaisir à son autrice. C’est une chose que d’exprimer un refus et des revendications, dans un acte volontaire de refus de la bienséance esthétique et des normes du spectacle.  Ca en est une autre de le faire en construisant des propos et des images qui échappent à la redondance et à l’effet catalogue ou tract.

Il se peut aussi que ce féminisme-là, porté sur une scène de théâtre, enfonce tout simplement trop de portes ouvertes. En créant un solo pour les circuits de production et diffusion en danse contemporaine, Dassy sait d’emblée qu’elle va prêcher des convaincus. Et cela peut inciter à baisser l’exigence dramaturgique. On le sait bien, le petit handicap du spectacle vivant réside dans le fait qu’il se diffuse moins facilement qu’un tract. Quel serait par exemple l’impact d’une pièce chorégraphique dénonçant les abus sexuels dans le monde de la danse (en pensant à Jan Fabre ou Daniel Doebbels)? Nettement moindre que celui d’un message sur Facebook ! La création d’une pièce pour la scène se justifie donc d’abord par sa qualité artistique, et ensuite par son intention militante. C’est à cette condition qu’une œuvre engagée peut servir sa cause. Et encore...

Revendication vs influence

Même en pensant aux chefs-d’œuvre de Pina Bausch, comme Les Sept Péchés Capitaux, Barbe Bleue et Café Müller qui ont fait d’elle une féministe aux yeux du public de son époque - position qu’elle a toujours réfutée - qui ont sans doute développé un impact réel sur l’évolution du regard sur la femme, même si la pérennité de cet effet est incertaine. Mais mieux vaut influer sur le monde sans se dire féministe que l’inverse. Quant à i-clit, les quarante-cinq minutes de ce solo ne lèvent aucun questionnement. Avec les mots de Dassy: « Cette popularisation du féminisme est-elle une auto-contradiction profonde ? Ou une réelle prise de pouvoir ? Une récupération marketing ou une revendication ingénieuse ? »

Quarante ans après ces créations de Pina Bausch, on peut ajouter quelques interrogations sur l’avidité de notre société d’images provocatrices et de transgression de tabous. Une Deborah de Robertis ou les Femen savent marquer les esprits et interpeller nos convives, parce que justement, elles savent mieux tirer leurs conclusions des considérations actuelles concernant l’activisme féministe. L’une de ces conclusions est justement de placer leur action dans l’espace public. i-clit souligne à quel point le fait d’aller sur scène ajoute une contradiction avant d’avoir une réponse aux autres. Prenons donc ce solo comme une étape nécessaire sur un chemin qui ne fait que commencer.

Thomas Hahn

Festival Les Hivernales 2019, Avignon, Théâtre des Doms, le 14 février 2019

 

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