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Faits d’Hiver à L’Atelier de Paris : « L’Echo d’un infini » de Sylvère Lamotte
Un sextuor de deux générations ouvre l’avenir de la danse contemporaine à son histoire (et inversement).
Dans la nouvelle création de Sylvère Lamotte, deux générations de la danse française se croisent sur un plateau. La première incarne la grande floraison de la nouvelle danse, avec Brigitte Asselineau et Paco Dècina qui se sont affirmés dans le paysage chorégraphique au cours des années 1980. A cette époque, les quatre autres interprètes, y inclus le chorégraphe Sylvère Lamotte, n’étaient même pas encore nés (ou à peine).
L’Echo d’un infini est donc une pièce fortement intergénérationnelle et débute par un duo entre Asselineau et Lamotte affirmant un geste de transmission. Simple, sobre et nullement pathétique ou ostentatoire, aussi graphique et net que l’ensemble de ce pas de deux. Un geste pur, posé dans l’espace sur fond d’un silence absolu, nullement parasité par une émotion qui ne soit pas pleinement la sienne.
Un regard sur le temps
C’est l’une des grandes qualités de cette pièce que de savoir passer d’un univers à un autre, diamétralement opposé, sans perdre le fil. L’abstraction totale est suivie d’un tableau vivant qui surgit d’une obscurité profonde. Les six interprètes se tiennent immobiles autour d’un feu, debout, couchés ou assis. Seul un couple commence une lente roulade au sol.
C’est la nuit, éclairée par les flammes. La magie du feu fait remonter la mémoire enfouie des narrations immémoriales, de la préhistoire à l’histoire de la peinture et aux souvenirs individuels. Au final, les ombres vacillantes évoquent l’art oriental du théâtre de silhouettes. Le temps devient palpable à l’intérieur d’un geste ou dans l’espace-temps d’une rencontre comme celle, magnifiquement poétique, entre la pureté sensuelle de Marie-Julie Debeaulieu et l’intemporalité de Paco Dècina.
Le ralenti, ouvert aux gestes enfouis
Le ralenti va comme un gant aux portés, aux roulades, aux déplacements, laissant advenir souvenirs et histoires. Il renforce la netteté et la profondeur de chaque image créée et amplifie l’empathie du spectateur face aux sensations du toucher. Techniquement parlant, les six danseurs se mettent au diapason d’un état reliant les générations et les époques. Entre eux, une énergie circule grâce à laquelle le ralenti paraît naturel.
Dans cette fluidité ouverte aux sensations, même les appuis sur l’autre goûtent à une dimension atmosphérique. Car il ne s’agit finalement pas de ralentir un mouvement, mais d’écrire une partition ouverte à tous les gestes enfouis dans ces corps, pour leur donner le temps de se manifester. La mémoire ici convoquée est aussi celle de l’histoire chorégraphique, avec la présence d’Asselineau et Dècina, et l’ombre, cette fois purement artistique, appartenant à Odile Duboc dans cette qualité du contact et des états de corps qui était la sienne.
Entre l’histoire et l’avenir de la danse
Mais Lamotte ne copie rien. L’Echo d’un infini développe plutôt une sorte de Duboc 2.0, résultat de la rencontre des deux générations et deux approches de la danse. D’une part, Asselineau, interprète chez Duboc pendant deux décennies et Paco Dècina, l’un des nombreux chorégraphes de Sylvère Lamotte. D’autre part, la mixité des styles accueillis par une jeune génération à laquelle s’ouvrent des univers plus variés que jamais, du classique au numérique.
L’Echo d’un infini réussit ce qu’on a l’habitude de la projeter sur les peintures murales des grottes préhistoriques, de Lascaux à Chauvet: Une levée de toute opposition entre l’ancestral et du contemporain.
Sauf qu’il s’agit ici de danse et de relève et qu’au résultat, ce sont la nouvelle génération et l’infini de l’avenir qui l’emportent sur l’infini du passé, en toute complicité. Avec cette nouvelle création, Sylvère Lamotte affirme lui-même à quel point le passage par les anciens peut ouvrir des portes nouvelles.
Thomas Hahn
Vu au Festival Faits d’Hiver, Atelier de Paris CDCN, le 16 février 2019
Conception et chorégraphie : Sylvère Lamotte
Interprètes : Brigitte Asselineau, Marie-Julie Debeaulieu, Paco Decina, Jean-Charles Jousni, Sylvère Lamotte, Jean-Yves Phuong.
Composition musicale : Frédéric Malle
Création lumières : Laurent Schneegans
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