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Suresnes Cités Danse : « Cercle égal demi cercle au carré » de Chantal Loïal
La nouvelle création de la Cie Difé Kako tisse un madras antillais des plus vifs entre quadrille, contredanse et danses urbaines.
Avant le début, Olivier Meyer prit le micro pour rappeler la première apparition de la chorégraphe à Suresnes Cités Danse. Car c’est là, dans l’une des premières éditions du festival, que Chantal Loïal a été révélée, il y a deux décennies, comme interprète dans le spectacle Paradis de José Montalvo. Depuis, elle a mené la carrière que l’on sait au sein de la compagnie Montalvo-Hervieu et développé ses propres créations avec sa compagnie, Difé Kako.
Cercle égal demi cercle au carré représente trois ans de recherches et de travail et de nombreux voyages entre les Antilles, la Guyane et l’Europe, ajoutant un triangle géographique aux deux formes géométriques qui inspirent et structurent cette création exceptionnelle. Le titre n’est cependant pas une formule mathématique, physique ou géométrique, mais purement chorégraphique, tout comme le spectacle rebondit joyeusement sur les concepts géométriques et offre avant tout une formidable bouffée d’humanité.
Carré communiquant
Cercles et demi-cercles, sur un sol tramé de carrés. Cercles qui se construisent, se contractent, se libèrent. Demi-cercles qui chantent les joies de la musique et du mouvement, de la rencontre et de l’être-ensemble, dans une vérité sensible, sans discours vertical aucun. Ce dialogue entre musiciens, chanteurs, danseurs et spectateurs crée comme un carré communiquant, parfaitement horizontal, à partir du demi-cercle ouvert en direction de la salle, d’où sont lancées les envolées dansées et chantées.
Sur l’écran vidéo, en verticale donc, défilent lignes, cercles et carrés dans un ballet graphique, imaginé et réalisé par Christian Foret et Yutaka Takei. Et si le nom de ce dernier peut paraître familier à certains, c’est qu’il s’agit effectivement du danseur bien connu de la compagnie de Carolyn Carlson et complice de Raimund Hoghe, qui chorégraphie ici des formes abstraites d’une manière particulièrement vivante, évoquant au passage le tissu « madras » antillais, avec ses lignes et carrés qui tissent des motifs complexes, évoquant la tradition vestimentaire qui s’est formée aux Antilles vers la fin du 17e siècle et qu’on voit ici émerger du blanc des costumes.
Galerie photo © Laurent Philippe
Tissages
Le tissage des couleurs des tissus madras est un symbole parfait de la créolisation qui a fondé la culture antillaise, tradition dont est issue Chantal Loïal et qui constitue le fondement de toute création ou activité au sein de Difé Kako, où le tissage est si profond qu’il aboutit à une méta-créolisation. Cercle égal demi cercle au carré en livre une démonstration éclatante, sur fond de danses antillaises et urbaines. La communauté formée par les membres de Difé Kako a atteint un état d’esprit organique et partagé immédiatement sensible, si bien que chacun.e peut ici endosser tous les rôles et toutes les danses, quel que soit son parcours ou sa couleur de peau.
La créolisation n’est donc pas considérée comme un processus imposé, mais comme un bonheur à vivre, et cette joie a la force de courber l’espace et le temps, sur le plateau. En poétisant la formule d’Einstein (E = mc2), Loïal permet à une créolisation historique et diachronique d’en rencontrer une autre, synchronique, laquelle fusionne les danses urbaines actuelles (hip hop, voguing, waacking, krump…) et celles qui sont passées au cours de l’Histoire coloniale, de danses de cour à danses populaires et se pratiquent aujourd’hui encore.
Associations
C’est justement le travail avec les associations guadeloupéennes (sur place et en métropole) pratiquant le quadrille et la contredanse qui est au cœur de cette création. « Mais la tradition se perd et surtout, il y a de moins en moins d’hommes qui dansent ! » En saluant le public sous les applaudissements, Loïal avait les larmes aux yeux. Il est rare que la danse puise aussi profondément dans les réservoirs émotionnels. Et pourtant, n’est-elle pas faite pour ça, justement ? Cercle égal demi cercle au carré va droit au but, chaleureusement.
Ici, toutes les dimensions se nourrissent les unes les autres: La contredanse, les danses urbaines, le conte, le bal, l’Histoire et l’actualité, le quotidien, la réalité sociale, la lutte collective, les souvenirs personnels, la poésie, la séduction…Et tous les interprètes sont à la fois personnage d’un conte, récitant, fêtard, danseur ou musicien, dame et cavalier, vivant en même temps dans le présent et dans les souvenirs.
Souplesse mentale, physique, émotionnelle et artistique démontrant la relativité des dimensions spatiale, temporelle et culturelle … Où personne ne se prend trop au sérieux, où on s’amuse des noms de figures du quadrille comme « la poule » ou « la galopade » en les interprétant littéralement, commentaires à la clé. Où on rencontre un phénomène devenu rare lui aussi, à savoir la danse « à commandement ». La voix qui commande les pas ou changements de direction émane du plateau, au milieu de la contredanse et des danseurs amateurs qui, eux, en ont encore l’habitude.
Galerie photo © Laurent Philippe
Partages
Les recherches de Chantal Loïal et sa compagnie à la Guadeloupe ont nourri l’intervention de quatre couples endimanchés (avec la participation de la chorégraphe !) pour un quadrille « pur » et proprement envoûtant, tel un carré de racines qui ancrerait les danses urbaines actuelles dans le charme d’une époque révolue. Chantal Loïal arrive ici au bout d’un long voyage. Jamais avant dans le travail de Difé Kako, tissage et métissage entre cultures chorégraphiques, époques et univers n’avaient atteint une telle légèreté et une telle finesse.
Entre la pertinence du propos, la subtilité des croisements et la vivacité des univers scéniques et la générosité des interprètes chorégraphiques et musicaux, la danse devient une aventure humaine partagée. Sous ses Alizés chorégraphiques, Chantal Loïal orne la quadrature du cercle d’une coiffe à quatre bouts, ce qui signale: « Il y a de la place pour qui le désire ». Ce qui ne veut pas dire que le spectacle est participatif, même si on peut imaginer de belles prolongations quand Cercle égal demi cercle au carré sera en tournée à la Guadeloupe et à la Martinique.
Thomas Hahn
Vu dans la cadre de Suresnes Cités Danse le 13 janvier 2019
Choregraphie : Chantal Loïal
Assistante chorégraphique : Delphine Bachacou
Collaboration artistique : Sabine Novel
Danseuses et danseurs interprètes : Nita Alphonso, Stéphanie Jardin, Sandra Sainte-Rose, Chantal Loïal, Delphine Bachacou, Régis Tsoumbou Bakana, Léo Lorenzo, Diego Dolciami, Mario Pounde
Musiciens interprètes : Gaëlle Amour, Elise Kali, Yann Villageois, Igo Drane
Composition musicale : Damien Groleau, Didier Léglise et Gaëlle Amour
Scénographie : Olivier Defrocourt
Création costumes : Marine Provent, Assistante : Gwendolyn Boudon
Création vidéo : Yutaka Takei, Christian Foret
Création lumières : Paul Argis
En Tournée :
12 et 13 février 2019 : Salle Robert Loyson, Le Moule – Guadeloupe
Représentations scolaires et tout public
15 et 16 février 2019 : L’Artchipel, Basse-Terre – Guadeloupe
Représentations scolaires et tout public
20 et 21 février 2019 : Tropiques Atrium, Fort de France – Martinique
Représentations scolaires et tout public, Conférence Dansée
6 avril 2019 : (Bal Konser Déchaîné) Savigny-le-Temple
8 décembre 2019 : Festival de Danse de Cannes, Cannes – PACA
À venir - en cours : Roissy en Brie / Théâtre de Saint-Lo, Saint Lo / MAC Créteil / Les Mureaux / Festival Danses Ouvertes, Fontenay aux Roses / Epinay sur Seine