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« Insect Train » de Cecilia Bengolea et Florentina Holzinger
Et si, pour une fois, le public avait raison ? Venus en nombre et de tous côtés du haut pays, à pied, en voiture ou à bord de la navette d’Arras, unis par le goût du spectacle, la passion de la danse ou la sortie de fin de semaine ouvrée, jeunes ou nettement moins ont assisté à la chorégraphie de Cecilia Bengolea et Florentina Holzinger programmée à l’Hippodrome de Douai. L’audience, ouverte au contemporain, a poliment concédé un rappel au quatuor féminin interprétant la pièce, Erika Miyauchi, Valeria Lanzara, Florentina Holzinger et Cecilia Bengolea mais a paru plus mitigée que médusée. Essayons de comprendre pourquoi.
Tout d’abord, les destinataires de ce qui relève d’une revue musicale agrémentée de danses animalières censées illustrer ou synthétiser, en une heure à peine les 4.000 pages de Souvenirs entomologistes de Jean-Henri Fabre, ne sont pas clairement définis. La clientèle enfantine eût été la cible idéale si les accouplements bestiaux répétés avaient été plus allusifs. Certes, fables et contes ne manquent pas d’éléments pervers, mais ils sont pour le moins celés sous les oripeaux d’une symbolique convenue, cryptés par une mythologie à prétention universelle, camouflés sous divers masques et effigies. Tandis que les vers sont des aliments prisés au Mexique pour leur teneur protéinique, les larves d’insectes continuent à se nourrir de chair humaine à l’état cadavérique. La scène très réussie de la dévoration d’une danseuse par l’autre, le ver de terre s’étant métamorphosé en boa constricteur (constrictrice ?) et les figurations d’étreintes amoureuses rappellent donc les pulsions vitales constitutives des mythes, légendes et contes d’enfants.
Le qualificatif « mitigé » prend son sens plombier ou littéral dès lors que les co-chorégraphes soufflent le chaud puis le froid. Les idées scénographiques sont certes habilement traitées – techniquement parlant. On pense, par exemple, à cette double enveloppe figurant un invertébré, ver, reptile ou portion intestinale qui, en se gonflant bruyamment sous nos oreilles esbaudies et nos yeux ébahis, se fait plus gros qu’une manade de bœufs. Ou à la photo, également agrandie, représentant un collectionneur d’araignées plus venimeuses les unes que les autres, une reproduction qui couvre la hauteur du cyclo. Les costumes de Coco Petitpierre, comme toujours, font sensation et produisent l’effet escompté. Nous avons droit aussi à des trouvailles chorégraphiques – ce qui, de nos jours, devient rarissime – avec, notamment, une routine sur pointes acrobatiquement exécutée par la talentueuse Erika Miyauchi qui, en guise de chaussons de danse, utilise des cônes de Lübeck.
Mais, à côté de ce punctum, que de catalyse – pour reprendre ces termes barthiens. En à peine une heure de show, un peu trop de temps faibles, pour ne pas dire morts. Des redites aussi et même des ratés – lorsque, par exemple, la danseuse d’exception qu’est Bengolea se mêle de dire ou lire du texte en trébuchant sur les mots en minuscules enregistrés sur son smartphone. Pour un brin d’avant-garde, combien de brandons de kitsch – on pense à l’épisode de peinturlurage corporel qui précède l’absorption d’une chorégraphe par l’autre. Tandis que certains éléments ou effets ne sont pas assez poussés, développés, exploités. Les fondus lumineux de Dominique Palabaud du tableau inaugural ou les bestioles surréelles en 3D contrastant avec des ombres chinoises féeriques d’une Lotte Reiniger ou d’une Loïe Fuller pouvaient (peuvent) durer plus sans lasser. De même que le numéro circassien de saut à l’élastique.
Et, tant qu’à assumer la pacotille, le clinquant, la fausseté qui caractérisent le kitsch, la variète surannée, le transformisme de toute espèce ou le carnavalesque (cf. la queue leu leu ou « chenille » dansée sur un air de samba le train-train qu’on retrouve dans le titre de la pièce), on aurait pu creuser encore ce sillon poétique ou spirituel qui se dégage plus souvent de productions fauchées, tels les films de série B à Z, de tendance fantastico-érotique, d’un Jean Rollin (cf. Le Masque de la Méduse, 2010) ou d’un Roger Corman (cf. La Femme guêpe, 1959) que des blockbusters.
Parmi les motifs de satisfaction, nous retiendrons la prestation virtuose de la danseuse-contorsionniste-chanteuse Valeria Lanzara, la variation sur pointes de Bengolea – qui nous prouve par ailleurs qu’elle chante aussi très juste – et le beau final sur une ballade en italien.
Nicolas Villodre
Vu le 9 novembre 2018 à l’Hippodrome de Douai-Tandem Scène nationale.
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