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« Danse sur toutes faces de ce monde » de Didier Deschamps

Nombreux sont désormais les danseurs ou chorégraphes à mettre la main à la plume. Plus rares, parmi ces derniers, sont ceux exerçant ou ayant exercé les fonctions de directeur de compagnie et surtout de haut responsable d’un lieu culturel. A fortiori lorsque ce dernier est  le théâtre national de la danse - Chaillot, autrement dit l’épicentre de la création chorégraphique en France.

Ne serait-ce que cette singularité, cela suffirait à rendre intéressant ce petit livre au titre énigmatique* et à la couverture très graphique - une typo rouge vif sur fond noir dessinant de haut en bas les lettres du mot Danse. Mais l’ouvrage a plus d’une qualité, qui se révèlent au fil de trente courts chapitres ordonnés sous forme d’abécédaire. Le premier, intitulé Anecdote, donne le ton : nous sommes au début des années 2 000 et Didier Deschamps vient de prendre la tête du Centre chorégraphique national de Nancy. Malheureusement, la situation financière de la compagnie exige de faire des économies. Se plongeant dans l’examen attentif des divers postes de dépenses, le jeune directeur remarque alors la location insolite et onéreuse, dans une banque voisine, d’une énorme chambre forte. Se rendant sur place pour percer le mystère, il découvre… une immense toile de Gérard Fromanger. Elle avait à la fin des années soixante servi de décor à la pièce Hymnen sur la partition éponyme de Stockhausen, une commande du regretté Jean-Albert Cartier, directeur de ce qui s’appelait alors le Ballet Théâtre Contemporain ou BTC.

Cette rencontre fortuite donnera au danseur et chorégraphe, qui coexiste en permanence avec l’administrateur, l’idée de recréer Hymnen avec le même duo d’artistes à la musique et aux décors. Un exemple parmi beaucoup d’autres de ce qu’« être plusieurs choses dans un même corps de danseur » apporte à la création.

Avant de prendre en 2011 les commandes du vaisseau Chaillot, Didier Deschamps a en effet eu plusieurs vies professionnelles, qui fondent la singularité de son parcours et l’acuité de son regard. On en retrouve ici les traces sous forme de souvenirs, de pensées et d’évocations qui viennent illustrer les différents sujets abordés. Il ne s’agit pas pour autant d’un livre de mémoires, mais plutôt  d’une tentative d’embrasser tout ce que recouvre le mot danser. De l’échauffement quotidien, encore et toujours pratiqué tel « un rituel de l’aube », à la fresque sur la danse de Matisse. De la question « comment comprendre la danse » à la fugacité des gestes. De la notation Laban aux droits humains. Et tant d’autres…

Entre deux réflexions, il rend hommage à son maître Merce Cunningham, ironise sur les interprétations abusives données à tel ou tel mouvement, ou considère la diagonale comme un art de vivre. Le créateur qu’il a longtemps été se souvient aussi de certaines de ses pièces et raconte leur genèse, évoque son métier de programmateur. Tout en s’interrogeant sur les maux actuels, il fait de la danse un outil de résistance, voire de rédemption, et consacre un inattendu chapitre à la gentillesse (« être délicat, subtil, apprendre à s’adresser à quelqu’un - être gentil »).

Ce faisant, il compose un bouquet dont on est libre de cueillir d’un coup toutes les fleurs, ou de les respirer une par une, de temps en temps, pour mieux en savourer le parfum. Quelle que soit la méthode choisie, on recommande en tout cas la lecture de ce livre à quiconque s’intéresse de près ou de loin à la danse. La moindre de ses vertus n’étant pas de laisser apparaître, derrière ces « lettres à un jeune danseur » version 2018, l’homme sensible et toujours curieux du monde qu’est Didier Deschamps.

Isabelle Calabre

*Un détournement d’un vers de Saint-John Perse, extrait de Vents.

Collection Incandescences, éditions Débats Publics, 18 €.

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