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« Le Geste unique » d'Alwin Nikolais, traduit par Marc Lawton

Vingt-cinq ans après la disparition d’Alwin Nikolais, Marc Lawton publie en français et en intégralité Le Geste unique, la somme des idées du chorégraphe sur la danse.

Pour la parution du livre, Micadanses a organisé une soirée pleine de ferveur et convoqué le ban et l’arrière-ban des disciples de ce grand chorégraphe américain d’après-guerre dont Lawton a préféré écrire le nom sans son tréma ajouté jusqu’ici en français et que lui et ses compagnons prononcent en escamotant le « s » final.

Mis à part Susan Buirge, restée au Japon, qui a envoyé une lettre témoignant de l’influence sur son travail et sa carrière de celui que ses proches appelaient familièrement Nik, et Alberto Del Saz reparti pour New York après la transmission de deux beaux solos aux élèves du CNDC, ceux qui ont été marqués par Nikolais dans notre pays étaient là, répartis dans les gradins du studio ou bien sur scène, entourant l’auteur : Carolyn Carlson, Dominique Rebaud, Christine Graz, Dominique Boivin et Daniel Dobbels.

Les prises de parole ont été distribuées par Rosita Boisseau, la critique de danse du quotidien antidaté paraissant l’après-midi, qui a permis à chacun de s’exprimer sans prolonger plus que nécessaire la cérémonie – on en a vécu de plus longuettes, consacrées à Nik ou à son fidèle Murray, que ce soit au Théâtre de la ville ou au Regard du cygne.

 Le livre est important en raison de la rareté des écrits disponibles en français sur le créateur et pédagogue – aucun texte de sa plume, publié à ce jour, si l’on en croit la bibliographie –, et qu’il a fallu l’opiniâtreté et la finesse du danseur-chercheur pour traduire dans la langue de Molière un texte majeur de Nikolais, partiellement publié aux Etats-unis en 2005. Il faut ajouter que le succès hexagonal de son compatriote Merce Cunningham, surtout à partir des années 80, a pu contribuer à lui faire de l’ombre. Il convient donc de saluer l’entreprise sans en chipoter quelque peccadille – on pense ici à la maquette d’un autre temps et à l’hypertrophie de l’appareil critique qui se justifierait pour une publication universitaire.

Par « geste unique » Nikolais entend un mouvement sans rapport avec les modèles et les techniques existants (p. 60). Le concept prend tout son sens à la lecture du livre bien qu’il n’ait curieusement pas pu être daté. Il faut dire que le manuscrit du chorégraphe n’est devenu tapuscrit qu’à une époque assez récente, en tout cas non précisée. Il a pu être selon Susan Buirge (p. 17) remanié avant son édition posthume. Les autres notions chères au maître et à ses élèves, « The Big Four », pour reprendre l’expression consacrée (et rappelée par Carlson en faisant... le signe de croix), sont plus connues : Time, Space, Motion, Shape. Et à celle de décentrement (voisine, en un sens, de la multipolarité cunninghamienne), Dominique Rebaud a consacré une étude exhaustive dont un DVD d’entretiens garde trace historique.

La philosophie de Nik valorise la singularité du danseur alors même qu’elle le dissocie paradoxalement de son ego. Ainsi qu’elle nous le rappelle, Carlson a pu danser dans un sac (sorte de burqa au service de l’art cinétique), nous dérobant son corps ou le métamorphosant en objet chorégraphique. La liberté gagnée est considérable pour un danseur issu du classique comme Boivin qui, au CNDC, où Nik dispensa son savoir dès sa fondation en 1978, qui comprend que la danse peut aussi « être utilisée pour faire rire », voire pour se moquer de soi. Pour Daniel Dobbels, le livre de Nikolais doit être lu lentement, patiemment, « en sachant qu’on ne comprend pas » ; il permet de « percer tous les stéréotypes qui ont pu être distribués autour du travail de Nikolais. »

Galerie photo © Nicolas Villodre

Des exemples valant mieux que de longs discours, Christine Graz et Claire Rousier, directrice adjointe au CNDC, nous ont permis d’assister à deux magnifiques variations dispensées par des étudiants du CNDC, Julia Vercelli, qui vient de terminer ses études, et Louis Macqueron. La première a donné en prologue Doll With a Broken Head, un extrait de la pièce Mechanical Organ (1982), apprise par elle au moyen de la vidéo. Le jeune gens a conclu la soirée avec Artisan, un passage du désormais classique Imago (1963), transmis « corps à corps » par Alberto Del Saz.

Dans les deux cas : sans les costumes d'origine, sans les éclairages recherchés, mais avec les musiques composées par Nikolais. Ces deux moments de danse absolue ont montré la complexité des mouvements, entravés, enchaînés à une vive cadence, libérés de tout autre raison que la leur. Techniquement irréprochables, expressifs, fluides, limpides.

Nicolas Villodre

Le geste unique d’Alwin Nikolais, traduit, dirigé et annoté par Marc Lawton avec la collaboration de Julien Bambaggi - Editions Deuxième époque

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