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« Ainsi la nuit » de Luc Petton

Dans la nouvelle création de la compagnie Le Guetteur, danseurs et circassiens croisent un loup, un vautour et des chouettes : « Tous des frères ». Jusqu’où ?

La chute de l’ange est si soudaine qu’elle vous glace le sang. Tel un éclair blanc qui traverse la nuit noire, un être se jette dans la nuit comme dans la gueule du loup. Ce n’est qu’au dernier moment que les élastiques retiennent la circassienne et amortissent sa descente aux enfers, quand elle tombe dans les bras de deux hommes en costume-cravate, à leur tour pris dans l’engrenage dantesque de la vie urbaine. Elle se laisse porter et manipuler par eux, quand une énorme chouette, les ailes écartées, traverse le théâtre, glissant au-dessus des spectateurs à la vitesse d’une flèche, pour atterrir sur scène.

Porteur d’ailes

Luc Petton ouvre Ainsi la nuit en frappant à grands coups d’effets-surprise, pour mieux nous renvoyer à quelques peurs ancestrales, comme celle de perdre les avantages de la condition humaine. L’enfer, c’est par exemple cette traversée du plateau à genoux et autres supplices chorégraphiques. Des ailes aux enfers, Ainsi la nuit met en jeu la verticalité autant que la disparition. La mort, du moins la peur d’en être atteint, s’invite ici également, après trois créations qui mettaient en avant la présence immémoriale des oiseaux sur la planète Terre.

Pour la quatrième fois, Petton et Marilén Iglesias-Breuker créent donc une pièce où les danseurs partagent le plateau (et une part de leur vie) avec des oiseaux vivants. S’y ajoute cette fois un Marcus ou un Mitchum, des bêtes non moins entre chien et loup que cette pièce dans son ensemble. En se référant à la Divine Comédie de Dante Alighieri, Petton trace, comme avant lui un Romeo Castellucci et quelques autres, un parcours Enfer-Purgatoire- Paradis, non sans souligner la racine du patronyme de Dante: Alighieri signifierait Porteur d’ailes.

Babel fraternel

« Siamo tutti fratelli », explique Pieradolfo Ciulli à Chimère, la chouette lapone qu’il porte sur son bras, en incluant le public, par son regard: « Nous sommes tous des frères. » Ce leitmotiv et fondement philosophique du travail de Luc Petton depuis la création de La Confidence des oiseaux, en 2005, n’a plus besoin d’être souligné. La création précédente, le très poétique Light Bird, parlait de la rencontre entre humains et grues de Mandchourie et se jouait sur un sol ondulant, créant des sensations d’envol ou d’effondrement.

Mais on n’y parlait pas. Les cinq interprètes humains d’Ainsi la nuit réunissent bien plus d’idiomes que leurs camarades animaux. Entre une Norvégienne, une Française, une Chinoise, un Italien et un Portoricain la communication est-elle plus aisée qu’avec un vautour ou une chouette ? Ce Babel des cultures humaines est-il plus facile à domestiquer ? Le contorsionniste aux jambes en tire-bouchon est-il une créature moins étrange que le vautour auquel il fait songer ?

Retour à l’envol de départ

Aujourd’hui, Petton et Iglesias-Breuker passent d’une poétique de l’émerveillement (dans Light Bird, avec sa scénographie paysagère et émouvante) à une poétique de l’effroi (sur un sol neutre qui n’a plus rien d’accueillant). Mais puisqu’on est en enfer et qu’on passe par le purgatoire, on peut aussi finir par s’élever au-dessus du tapis de danse. Après avoir partagé un espace mental tortueux, humains et animaux vont ensemble vers une sensation d’envol et d’apaisement.

Ce voyage nocturne sous les auspices la Divine comédie trace aussi un retour en arrière, à travers des motifs chorégraphiques rencontrés dans les créations précédentes. On se souvient de Light Bird, quand les humains sautent sur place comme pour se préparer à prendre leur envol. On croise des échos à Swan, dans un tableau collectif où les corps jouent avec leur poids pour trouver une élégance paradoxale.

Et on revient, au tableau  final, à une ambiance entre ciel et terre qu’on avait tant appréciée dans La Confidence des oiseaux. C’est de nouveaux le plasticien Raul « Pajaro » Gomez qui signe des agrès aériens et bucoliques, sobres et célestes. Les danseurs s’y allongent et accueillent les cinq chouettes effraies qui volent de l’un à l’autre, comme entre les branches d’un même arbre, dans un paysage fantasmagorique.

De Dante au Caravage

Qui dit nuit, dit clair-obscur. Ainsi la nuit allume quelques belles étincelles du Caravage, qu’elles soient volontaires ou qu’elles éclatent par la force des choses, tableau par tableau. Mais le fait est que la pièce est traversée par une lourde toile, tantôt enveloppe charnelle et animale pour danseuses effrayées par leur propre animalité, tantôt manteau royal comme dans un conte. Et cette toile ne serait pas moins bien employée en tombant entre les mains d’un peintre, maître du chiaoscuro.

Les lumières bien tempérées de Sylvie Vautrin en soulignent les plis comme celles des muscles, en adéquation totale avec un langage chorégraphique dont Vautrin a accompagné la naissance, dans La Confidence des oiseaux. La réception de l’oiseau et le rapport à lui ont inspiré une bonne partie du vocabulaire chorégraphique de Luc Petton: Le corps penché en arrière, un bras tendu vers l’avant, dans une attention totale vers l’autre, à la fois si proche et si différent.

Alternances

Ainsi la nuit ne joue pourtant pas la continuité, mais se divise en tableaux, du fait du passage du sol à l’aérien, de la rencontre avec le vautour au passage du loup, etc. Rythme non pas « infernal » mais raisonné, puisqu’un supplice ne saura être éternel, sur une scène contemporaine. Dans Light Bird, les animaux participaient du lien, ici ils accentuent le découpage. Ce qui ne permet pas de mettre en scène la rencontre. Ici, elle a déjà au lieu, ou bien elle fait défaut. Comme toujours chez Luc Petton, ce sont les animaux qui en décident et nous rappellent qu’ils sont les habitants originels de cette planète.

La suite des quatre pièces de Petton et Iglesias-Breuker autour de notre relation à l’animal suivent une alternance entre harmonies et contrastes, pour ne pas dire : Conflits. Harmonie surprenante dans La Confidence..., contraste cygnes noirs/cygnes blanc et rapport de forces homme/animal dans Swan. Puis la tranquillité de la rencontre dans la sagesse de Light Bird, et maintenant les animaux incarnant les effrois nocturnes de l’homme. Et ce n’est pas une sauvagerie que de supposer que ce sont les pièces basées sur l’harmonie qui vont laisser les traces les plus profondes chez le spectateur.

Thomas Hahn

Ainsi la nuit

Concept - Luc Petton
Chorégraphie - Marilén Iglesias-Breuker & Luc Petton
Scénographie - Raul Pajaro Gomez
Création sonore et musicale - Xavier Rosselle
Création lumières - Sylvie Vautrin
Costumes - Amandine Cros
Interprètes - Pieradolfo Ciuilli, Adalberto Fernandez-Torres,
Aurore Godfroy, Xiao Yi Liu, Elise Bjerkelund Reine
Animalière - Mélanie Poux
Partenariat - Philippe Hertel - Vol Libre Production
Oiseleurs - Juliette Villain, Cyril Catta

En tournée 2018:

1er décembre :  Maisons Alfort (94), Théâtre Claude Debussy

18 et 19 décembre : Maubeuge (59), Le Manège

Dates 2019 :

http://www.lucpetton.com/fr/calendrier/

 

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