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« Ligne de Crête » de Maguy Marin
De May B., une de ses œuvres phares inspirée de Samuel Beckett, à ses créations plus récentes, Maguy Marin s'attache à réfléchir - au double sens du terme - la condition humaine moderne et les phénomènes de consommation. D’une certaine façon, Ligne de crête pourrait se résumer à cette citation du même Beckett : « Il y a deux besoins : Celui que l'on a, et celui de l’avoir1. »
Immergés dans le ressac du son amplifié de la photocopieuse, nous voilà happés dans un nouvel espace où la transparence est la règle : la surface de co-working où le travail peut s’opérer à la vue de tous. Là, dans ces cages en verre, gît le totalitarisme larvé, et la contrainte faite à l’individu de s’incorporer le credo néolibéral. Là circule une petite communauté humaine, qui, comme une autre société hypercivilisée, celle des fourmis, apporte à chaque instant, d’autres objets comme autant de « besoins » pour meubler le vide de leurs bureaux et de leurs vies : packs de bière, de papier toilette, d’eau, petits gâteaux, et autres biens de « consommation courante » et de compensation - cette « fuite latérale2». Peu à peu, s’y ajoutent d’autres bibelots, bidules, choses, censés distinguer chacun de ces hommes et de ces femmes, les qualifier en quelque sorte : photos des petits, affiches, plantes, vêtements, jouets, tableaux, livres, revues, vrai fatras d’inutilités, ou bazar des inanités à l’obsolescence programmée. Et tandis que le rythme implacable de la photocopieuse avale toute velléité d’originalité, Ligne de Crête avance en équilibre entre deux versants : la conformation et la distinction. Le résultat est puissant et d’une ironie acérée, parfois cinglante, et finit par figurer une nouvelle représentation allégorique de la mort, du passage du temps, de la vacuité des passions et activités humaines. Au sein cette accumulation morbide, les interprètes imperturbables continuent à se mouvoir, à manger, à se vider, à se remplir, un petit saut par ci, un petit tour par là, « A force d'appeler ça ma vie je vais finir par y croire. C'est le principe de la publicité3. »
Bien sûr, cette œuvre magistrale et répétitive nous rappelle Umwelt. Mais là où cette dernière était construite comme une fugue sur l’épuisement des possibles, où tout était emporté par un vent de tempête salutaire, Ligne de Crête escalade les impossibles « pour tenter de venir à bout d’un sommet peut-être inatteignable » écrit la chorégraphe. Reste que cette création, volontairement didactique comme a pu l’être DEUX MILLE DIX SEPT, à fort contenu politique, finit par former une étonnante œuvre d’art, inouïe version moderne des Vanités, et miroir de notre actualité.
Agnès Izrine
Le 11 septembre, Biennale de la Danse de Lyon, TNP Villeurbanne. À voir jusqu'au 15 septembre.
1. « Mercier et Camier », 1946
2. Gaston Bachelard « La Poétique de l’espace »,1957
3.Samuel Beckett : « Molloy »
Distribution
Chorégraphie : Maguy Marin, en étroite collaboration avec Ulises Alvarez, Françoise Leick, Louise Mariotte, Cathy Polo, Ennio Sammarco, Marcelo Sepulveda.
Lumière : Alexandre Beneteaud
DIspositif scénique et bande son : Charlie Aubry
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