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Adieu Paul Taylor

Le chorégraphe Paul Taylor est décédé le 29 août 2018 à New York. À 88 ans, il était le « dernier des mohicans » de la danse moderne américaine.

Avec ses faux airs de Jiminy Cricket, Paul Taylor, était une sorte de conscience de la danse américaine et représentait, à lui seul, tous les courants qui l’avaient traversée.  Est-ce la raison pour laquelle ses chorégraphies sont si… dissemblables ? Si, en France, on se souvient surtout d’Auréole, son premier grand succès créé en 1962 sur Watermusic de Haendel, on connaît moins Big Bertha (1970), ballet qui fait froid dans le dos, où un nickelodéon pousse une gentille famille américaine à l’inceste, avec un mélange d’humour sardonique et d’innocence aimable – sa marque de fabrique. Ce qui faisait dire à Paul Taylor « Vous savez on n’en parlait pas tant que ça à l’époque. ». Il savait de quoi il en retournait : « Il était devenu clair que mon père était plus qu’attiré par son fils aîné » écrivait-il dans Private Domain, autobiographie de 1987.

Paul Bellville dit Paul Taylor est né le 29 juillet 1930 à Wilkinsburg (Pennsylvanie). Il passe son enfance près de Washington, après que sa mère, Elizabeth Rust Pendleton, ait quitté son père pour les raisons évoquées ci-dessus alors que Paul n’avait pas quatre ans. Elle tient un petit restaurant où elle travaille dur comme cuisinière. Paul a un imaginaire fantastique et adore la littérature, mais avant d’être danseur, il est surtout un nageur d’exception, ce qui lui vaut une bourse d’athlétisme pour l’université de Syracuse pour étudier les arts. C’est là qu’il découvre la danse. Il se rend ensuite au Connecticut College de l’American Dance Festival, où il rencontre son premier mentor : Martha Graham, avant de rejoindre la Julliard School en 1952/1953. C’est à la sortie de la Julliard,  qu’il entre dans la compagnie de Merce Cunningham où il ne restera pas longtemps (de 1952 à 54), avant de rejoindre celle de Martha Graham (de 1955 à 62). La carrière chorégraphique de Taylor débute dès 1953 avec Hobo Ballet. Viennent ensuite Jack and the Beanstalk  (1954) et  Three Epitaphs (1956).

Avec son côté noir et rose, on peut distinguer au moins deux Paul Taylor. L’un à l’écriture raffinée, à la musicalité impeccable qui distille un climat émotionnel et une poésie atmosphérique. L’autre au style plus narratif et caustique, héritier mâle d’une Martha Graham qui n’aurait pas oublié d’être malicieuse ou grotesque. Drôle de mélange. Passionnant en tout cas. Lui qui  dansé avec Graham, Cunningham et Balanchine, été l’interprète de Charles Weidman, connu Doris Humphrey et même Ted Shawn, été l’élève d’Antony Tudor ou José Limon, affirme s’inspirer avant tout des gens qui passent.

Plutôt mystérieux, peu connu en France contrairement à un Merce Cunningham ou une Trisha Brown, on ne sait pas grand chose sur Paul Taylor, "mauvais garçon" (selon Graham) de la danse moderne américaine. On ignore notamment qu’il a inventé, en 1957, l’anti-danse ou la non-danse – notée comme telle dans un de ses programmes – en créant Seven New Dances, dans lequel il bougeait peu voire pas du tout, sur de la musique de Cage en s’associant à Robert Rauschenberg (qui créera ses costumes ou ses décors pour 19 de ses chorégraphies), Jasper Johns (qui vivait à l’époque avec Rauschenberg) ou Morton Feldman. On ne sait pas non plus qu’il a eu dans sa troupe une jeune fille nommée Pina Bausch, pour qui il créa un rôle de mante religieuse. « Apparemment ça lui a convenu » ironisait-il lors d’une rencontre en 2012, « Elle était si maigre, si triste, et ne voulait pas manger. Elle aurait plu à Balanchine. » Il a aussi formé Twyla Tharp ou Daniel Ezralow et Laura Dean et Rudolf Noureev dansera souvent ses pièces.

En 1974, il doit arrêter sa carrière de danseur à la suite d’une blessure.  Ce qui aurait pu l’abattre renforce, au contraire, sa créativité:  À commencer par le formidable Esplanade, qui ne contient aucun pas académique, qu’il soit classique ou moderne mais uniquement des actions telles que sauter, marcher, s’asseoir, s’arrêter, tomber…Il compose un nombre de pièces impressionnantes, qui sont, pour la plupart, de petits chefs-d’œuvre comme Runes, Cloven Kingdom, Polaris (1976), Images et Dust (1977), Airs (1978), Le Sacre du Printemps (the Rehearsal) (1980), Arden Court (1981), Mercuric Tidings (1982), Sunset (1983), Byzantium (1984), Roses et Last Look (1985), et A Musical Offering (1986).

Parmi ses dernières chorégraphies, American Dreamer et Perpetual Dawn (toutes deux créées en 2013) témoignent de la vitalité créatrice de celui qui se considère – non sans coquetterie –  comme un « artisan de danse ». Il vient tout juste d’inventer un nouveau programme intitulé : « Create with Taylor » qui permet d’assister à l’alchimie d’une chorégraphie en assistant au processus de création. Parallèlement, il consacre beaucoup de temps à sa jeune compagnie Taylor 2 tout en restant très attentif aux danseurs de la compagnie Paul Taylor, qu'il auditionne toujours personnellement, ne laissant jamais à un autre le choix de ses futurs interprètes.

Ecrivain étonnamment doué, il  a consacré deux livres à ses mémoires : Private Domain (1987) et Facts and Fancies (2013). Celui qui se considérait avant tout comme un « travailleur » version classe ouvrière, pensait qu’à la longue, il avait surtout appris à mieux transmettre ses chorégraphies. Il avait déjà reformulé le nom de sa compagnie en Paul Taylor American Dance (auparavant Paul Taylor’s American Modern Dance)  en 2014, et venait de nommer un successeur Michael Novak, membre de la compagnie, comme directeur artistique, juste avant de disparaître.

Agnès Izrine

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