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Geisha Fontaine, Les 100 mots de la danse

Cent mots pour traiter en un peu plus de cent pages de l’art du « sans mot » qu’est celui de la danse : tel est le défi que s’est lancé Geisha Fontaine, danseuse et penseuse, donc particulièrement bien placée pour le relever sous la forme d’un Que sais-je.

L’ouvrage s’amorce par un signe typographique, celui de l’esperluette chère à Dominique Noguez (cf. son livre Cinéma &, paru en 2010) qui marque la subordination de la danse à d’autres expressions comme le théâtre ou la musique, mieux en cour ou syndicalement représentées, et s’achève sur un nom propre peu commun, celui de la ballerine italienne du XIXe siècle Virginia Zucchi, disciple de Carlo Blasis, interprète de Petipa, immortalisée par son rôle de Muette de Portici. Cette interprète clôt le bal et l’abécédaire de Geisha, à base surtout de substantifs – parfois dérivés d’adjectifs comme classique, néoclassique, grotesque, moderne, virtuel, vivant –, de mots composés – à bras-le-corps, belle danse, en-dehors – et de d’un ou deux verbes comme celui de vieillir – le mot dancing exprimant l’action comme les nombreux verbes dont use la danse baroque est lui aussi substantivé.

Le rabat-joie trouvera à redire, dans un sens comme dans un autre, dans celui des omissions, prétéritions, disparitions – s’il se réfère à Perec – comme celui des antiennes, des redites, des rengaines. A cet égard, le name dropping ou, si l’on préfère, l’index qui succède à Mlle Zucchi pourra paraître relativiste, qui fourre dans un même sac petits maîtres, seconds couteaux et figures majeures de l’art de Terpsichore. La subjectivité, sinon l’arbitraire, de l’auteure, certainement assumée, trouve ici encore à s’exprimer. A quoi bon mentionner les Charmatz, Le Roy, Monnier, Ribot, Soto, Triozzi, si l’on passe sous silence les Aubin, Boivin, Chaignaud, Chouinard, Cougoule, Grandville, Hifller, Hoffmann, Houbin, Lachambre, Linehan, Lecavalier, Lock, Maillot, Maro, Murtin, Preljocaj, Rebaud, Rizzo, Tompkins et autres Wilson ?

Comme le philosophe existentialiste, Geisha se raconte, se révèle, se trahit à travers ses mots choisis qui sont, pour partie, ceux de la danse. Quand ceux-ci se font gros comme la grenouille du fabuliste homonyme, deviennent notions ou concepts, slogans ou clichés, présupposés ou doxa et qu’ils prennent du calibre, du volume, de la place, le grinchu sera tenté de dégonfler quelque baudruche. L’entrée « danse conceptuelle » est ouverte à tous vents mais ne cite ni Duchamp, le trouveur du ready made, ni Kossuth, le promoteur de l’art du même nom avec d’autres (notamment le collectif à esperluette Art & Language). Celle de la « performance » est « déceptive » pour reprendre le qualificatif barthésien cité par Geisha, et ne rappelle pas l’étymologie d’un mot déjà employé par Victor Hugo dans L’Homme qui rit, restant vague sur l’apparitions du sens « arty » qui date pour Daniel Charles non des sixties mais plutôt des années 70.

Ceci dit, le lecteur en apprendra sacrément sur la danse tout en restant libre d’aborder le texte par le bout ou le mot qui lui plaira. La partie sur la danse contemporaine mérite à elle seule d’être lue et relue. Elle donne une vision historique très précise de la danse en France dans les années 80, même si les noms de Bagnolet et du regretté Jaques Chaurand, souvent imité, jamais égalé, n’y figurent pas et si Carlson est placée sur le même plan que ses suiveurs. L’item « dancing » nous rappelle que dans les années vingt les amateurs de danse Aragon et Leiris dansaient le shimmy Au Zelli’s (avant que Desnos et d’autres Surréalistes ne fréquentent le Bal nègre de la rue Blomet). De même, l’auteure rappelle le jeu de mots de Man Ray dans son tableau Danger pouvant se lire Dancer. Le passage sur le théâtre à l’italienne est instructif. Toujours spirituelle, Geisha Fontaine sauve de l’oubli le mot « gargouillade » qui désigne un saut latéral et énumère quelques termes très suggestifs du vocabulaire classique encore en usage de par le monde : déboulé, piqué, échappé, enveloppé, ballonné, sissonne, brisé, entrechat, arabesque, pirouette, cabriole, fouetté, soubresaut, rond-de-jambe...

Les paragraphes consacrés à la notion d’immobilité sont aussi intéressants que ceux décrivant ou définissant les mouvements – la non-danse restant, peut-on penser, de la danse. La partie technique est nickel, irréprochable, utile pour les danseurs comme pour leurs admirateurs.

Nicolas Villodre

Les 100 mots de la danse, PUF, Que sais-je n° 4112, 2018, 128 pages, 9 €.

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