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Montpellier Danse : Forsythe par la Compania Nacional de Danza

Avec trois pièces de Forsythe, la compagnie nationale de Madrid confirme son parcours exceptionnel sous la direction de José Carlos Martinez.

Depuis qu’il dirige la Compania Nacional de Danza, l’ancien danseur étoile José Carlos Martinez ne monte plus sur scène. Arrivé à Madrid en 2010, il a passé ses quatre premières années à la direction de la CND en mettant de côté ses ambitions chorégraphiques, se consacrant exclusivement à la réorganisation de la compagnie. Depuis, il a créé ses propres versions de Casse-Noisette et de Don Quichotte, pièce éminemment espagnole.

Pour la CND, le choix d’un danseur étoile parisien mais d’origine espagnole s’est révélé payant à tous les niveaux. Après le départ de Nacho Duato, Martinez a construit un nouveau répertoire, renouvelé l’effectif  tout en introduisant une structure valorisant les meilleurs des cinquante danseurs de la troupe (pour éviter leur départ) et doublé le nombre de représentations annuelles. En même temps, l’effectif s’est diversifié et se compose aujourd’hui de danseurs venant du classique et d’autres, venant du contemporain.

Triple bill forsythien

Cette différence est particulièrement intéressante quand on interprète quelques pièces de William Forsythe. Quand Martinez prit la direction de la compagnie, il y a sept ans, son intention initiale vis-à-vis du répertoire forsythien était de recréer Impressing the Czar, mais les droits étaient à ce moment réservés à d’autres compagnies. Il proposa donc au chorégraphe une soirée composée de trois pièces représentant quinze ans de création : The Vertiginous Thrill of Exactitude (1996), Artifact Suite (2004) et Enemy in the Figure (1989). Ce qui donna lieu, à Una noche con Forsythe (en français: Une soirée avec Forsythe), dans une combinaison unique du répertoire forsythien, proposée par aucune autre compagnie dans le monde. De ces trois pièces, seul Enemy in the Figure figurait déjà au répertoire de la CND à l’arrivée de Martinez.

1996 - 2004 - 1989: Si l’ordre dans lequel Martinez présente les pièces n’est en rien chronologique - la pièce la plus ancienne venant en clôture (1) - la soirée déroule un fil presque pédagogique, passant d’une démonstration de l’école classique à une liberté de ton et de langage qui paraissent aujourd’hui encore, presque trente ans après la création, à la pointe de l’invention chorégraphique. Sans doute pour la raison d’une extrême acuité dans l’usage fait de la liberté revendiquée et conquise.

The Vertiginous Thrill of Exactitude

The Vertiginous Thrill of Exactitude porte en son titre comme une missive concernant l’interprétation souhaitée par le chorégraphe. José Martinez arbore donc un brin de fierté quand il annonce que Forsythe, après avoir visionné la vidéo de l’interprétation par la CND, l’a déclarée version de référence pour toute transmission future. Vives et pétillantes, Helena Balla, YaeGee Park et Kayoko Everhart ont dépassé la dimension de l’exactitude pour livrer une interprétation enjouée, face à Anthony Pina et Alessandro Riga, deux hommes à la fois très en force et fluides.

Galerie photo © Laurent Philippe

Dansé sur la fin de la 9e Symphonie de Schubert, The Vertiginous Thrill of Exactitude  fait déjà un pas vers la liberté de la danse face à la musique, en déclinant l’ensemble du vocabulaire du ballet classique. « Laisser la technique derrière nous et: Danser! » - voilà comment Martinez définit son approche de la pièce qui devient ici une source de joie et transmet pleinement le plaisir de danser.

Artifact Suite / Enemy in the Figure

Le débat avec les principes du ballet est ici porté sur ce qui ne figure pas dans la première partie: Le corps de ballet, se déployant dans une géométrie très linéaire qui délimite l’espace des duos. Rythmé par le rideau de scène qui découpe les tableaux, Artifact Suite développe un dialogue intense avec l’univers de Balanchine et porte l’usage du corps de ballet sur un terrain contemporain, où symétries et unissons assument leur liberté et deviennent le sujet même du spectacle.

Galerie photo © Laurent Philippe

Après  ce pas en direction de l’abstraction, c’est paradoxalement un retour vers  une idée d’ambiance narrative qui s’esquisse dans Enemy in the Figure. Comme un film noir dansé, avec ses combats, ses apparitions et disparitions et un suspense à tout instant, cette pièce impose une théâtralité sans cesse relancée. La technique classique n’est pas jetée avec le bain, mais mise au service d’une danse résolument contemporaine.

Toute géométrie est balayée par un mur ondulé  qui occupe le centre du plateau. Les personnages  évoluent à la marge, dans un espace nocturne sculpté et modulé par d’énormes projecteurs manipulés par les danseurs, découpant le sol et les murs en zones obscures et éclairées. S’y ajoutent quelques costumes étonnants, transformant le danseur en sculpture vivante à chaque saut ou pirouette.

Galerie photo © Laurent Philippe

Si ce triple programme amène le public vers une mise en perspective du vocabulaire classique à travers  une liberté formelle contemporaine, il éclaire aussi comment Forsythe menait lui-même ce débat, dans ses allers-retours entre les références balanchiniennes et ses propres avancées sur le terrain contemporain, entre le travail avec sa propre compagnie à Francfort et  des créations en tant que chorégraphe invité, comme en 2004 au Scottish National Ballet, pour  Artifact Suite.

Thomas Hahn

Spectacles vus le 30 juin 2018, 38e édition de Montpellier Danse, Le Corum

(1) Artifact, dont est tiré Artifact Suite, date cependant de 1984

Photo preview © Jesus Vallinas

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