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Montpellier Danse : « Des gens qui dansent »
Cinq interprètes, cinq hommes debout pour endosser la partition performative et chorégraphiée de Gens qui dansent avec l'insigne intention de se lancer dans la bataille d' une petite histoire des quantités négligeables : une revendication identitaire d'une part masculine malmenée ces temps-ci, encore fragile, mais singulièrement dans l'attente de reconnaissance
Un discours en béton, maçonné de prises de conscience esthétiques, sociologiques, économiques et politiques (la structure Naïf Production, basée à Avignon et issue de la compagnie 2 temps 3 mouvements, revendique des origines entre « salle de fêtes de MJC » et « quelque part entre art du cirque et hip hop ») : la teneur du discours serré et combatif, en conférence de presse, de Mathieu Desseigne-Ravel, à l'initiative des Gens qui dansent avec Sylvain Bouillet et Lucien Reynès, ne constituait en fait que l'armature, certes non négligeable, d'un projet où cinq interprètes masculins seraient assujettis à « un manque », dont on ne sut à ce moment quel en était exactement le contenu.
Galerie photo : Laurent Philippe
Pour autant, le long prologue contourné mais chaleureusement insistant, auquel se livre Nacim Battou, tel un meneur de troupe face au public, indique le désir de nouer des contacts susceptibles d'outrepasser la limite invisible du fameux 4e mur qui divise salle et plateau. « Commençons par évacuer ce que l'on ne sait pas. Je ne sais pas dans quel état vous êtes arrivés … Peut-être vous attendez du sens, un moment de tranquillité... Il s'agirait de revenir à une réalité... sentir et ressentir ensemble », tel est l'essentiel saisi au vol de l'adresse au public . Au fur et à mesure de l'extension progressive des lumières en salle, le propos s'assortit de bribes d'états de corps empruntés au vocabulaire hip hop, en gage de recherche d' « une autre sincérité », encore chancelante mais bien décidée à passer la rampe.
Galerie photo : Laurent Philippe
Peu à peu, s'instruit autour de ce premier état l'ordonnancement des autres interprètes dans un emballement de forces acrobatiques - moins l'indice d'un battle en révérence au hip hop que marqueurs de l'indéfectible identité de garçons ordinaires -, générant du sol des élans puissants assortis de chutes, de postures déglinguées comme gangrenées de paralytiques symptômes, jusqu'à l'épuisement d'une transe fraternellement sentie. Délibérément sur cette scène débarrassée de tout accessoire, hormis cinq chaises disposées de part et d'autre, on se sent convié dans un espace qui, certes, ne dit pas son nom, mais présente toutes les apparences de ces improbables hangars de garçons, où les choses se disent moins dans la parole, que par effleurements d'épaules, prises sûres de la main et complicité intimiste et virile des regards. C'est une première stase d'impudeur et d'aveu de possible fragilité.
Galerie photo : Laurent Philippe
La suite s'inscrit en faux. C'est une déconstruction des marqueurs de virilité physique menée en règle par Hacim Battou sur ses partenaires debout, en slips réglementaires, comme pour un passage en revue. Il y adjoint le vocabulaire de la boucherie bovine pour soupeser, tâter, vanter la qualité des muscles et de la chair – une démonstration à l'appui qui prend les tours grinçants et tendres des manifestations de foires -, tout en l'entrelaçant de propriétés gustatives et émotionnelles qui tranchent dans le vif d'une mise à nu blafarde et attendrissante. Tout ceci joue à plein des contiguïtés de sens. C'est de la viande, de la peau vive et en tension, de l'affectif un peu, du sexuel sûrement pas. Deuxième stase d'impudeur, elle est diablement carnassière et satirique.
Galerie photo : Laurent Philippe
S'enchaînent alors, une fois rhabillés, des formes de mise à l'épreuve où chacun expérimente la résistance de l'autre, strié un instant de pulsations rock. Faire des sauts en prenant son élan sur le corps allongé d'un autre, mimer des mouvements dictés par un autre et y être étrillé, manipuler le corps d'un tel comme une pâte molle, s'aider du groupe pour être propulsé au plus haut et conquérir de l'air ... C'est un jeu de tendre massacre, il prête à sourire, il est grave, violent parfois, toujours innervé d'une qualité d'attention tenue à distance, jamais troublante ni indifférente pour autant. On se respecte, on se reconnaît, on est à l'écoute ; et s'immisce en cela une mystérieuse mais tenace sensation de solitude profonde, comme si, tout d'un coup, la scène avait basculé dans un entre deux, entre spectacle et une sorte de grand isoloir où dire l'impensé de désirs masculins en quête de reconnaissance. La troisième stase affleure aux territoires de l'intime, elle se veut plus expressive. L'écoute qui se fait entendre au final, immobilité totale, obscurité envahissant la scène, d'un extrait du Chant du Destin de Verdi, sur une voix de femme, indique aussi un besoin d'acceptation d'une sublime et possible rédemption. Ces garçons feraient-ils leur mea culpa pour exister en dignité, "être" tout simplement ? Ce n'est pas une petite affaire, même si elle se montre balbutiante face au 4e mur des revendications féministes qui la hantent en sourdine. Oui, la mise à nu s'est voulue « sincère et en simplicité », mais elle demeure encore close sur elle-même – début d'une interrogation en devenir sur des quantités guère négligeables au fond
Lise Ott
spectacle vu au Théâtre de la Vignette le mercredi 4 juillet
Des gens qui dansent (Petite histoire des quantités négligeables)
Création et interprétation : Nassim Battou, Clotaire Fouchereau, Julien Gros, Andres Labarca et Lucien Reynès
A l'initiative du projet : Mathieu Desseigne-Ravel / Accompagnateurs : Sylvain Bouillet et Lucien Reynès
Collaboration artistique : Michel Schweitzer
Création lumière : Pauline Guyonnet
Création sonore : Christophe Ruetsch
Administration et développement : Aurélie Chopin et Caroline Navarre
Pour cette création Naïf production a été accueillie en résidence à l'Agora, cité internationale de la danse avec le soutien de la Fondation BNP Paribas. Ce spectacle a reçu le soutien du FONDOC, fonds des soutien à la création contemporaine en Occitanie
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