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Ayelen Parolin ouvre le festival June Events

Originaire d'Argentine, Ayelen Parolin a fréquenté la formation ex.e.r.ce sous la direction de Mathilde Monnier au Centre chorégraphique national de Montpellier. Depuis huit ans, elle est basée à Bruxelles. Sa pièce Autóctonos II,, pour cinq interprètes (dont une pianiste) figure au programme de la soirée d'ouverture de l'édition 2018 du festival June Events.

Danser Canal Historique : Tout au long de la pièce Autoctonos II, les quatre danseurs répètent imperturbablement un pas identique, de glissé latéral tournoyant sur le sol. Cela tandis que leurs membres supérieurs, au contraire, sont entraînés dans des variations, en lien notamment avec des montées d'intensité. Faut-il rapprocher cette pièce de l'esthétique minimaliste et répétitive ?

Ayelen Parolin : Minimalisme et répétitivité sont des principes qui me parlent. Mais je ne peux m'y rattacher en tant que courant esthétique. Car l'objectif d'un tel courant est de cultiver précisément ces principes pour eux-mêmes. Or tel n'est pas le cas dans Autoctonos II, où certes j'utilise ces principes, mais avec l'objectif d'aller tout ailleurs. Mon objectif, à travers cela, est au contraire de faire ressortir quelque chose d'animal, de brut, de plus inconscient.

C'est paradoxal : j'en passe par le structuré, le méthodique, quasiment une mécanique, pour déboucher sur tout l'opposé. Il y a quelque chose d'alchimique, de magique, dans cette quête, qui d'ailleurs ne fonctionne pas exactement pareil selon les représentations. Cette démarche est aussi à la base de beaucoup de cérémonies rituelles, où des actions très codifiées conduisent vers l'extase. C'est en étirant la durée qu'on tend vers un état de concentration, de communion entre le corps et le mental ; finalement, d'harmonie.
 

DCH : Est-ce que le mot Autoctonos, dans le titre, réfèrerait à ces cultures traditionnelles, autochtones ?

Ayelen Parolin : Non. Pas précisément. En fait ce titre est assez chargé d'actualité, y compris de préoccupations politiques. Vivant en Europe, mais d'une origine autre, j'observe les poussées identitaires et nationalistes, qui peuvent cultiver cette notion d'autochtones, par opposition à ceux qui ne le seraient pas. Alors, je voudrais déplacer ce mot, lui trouver une autre connotation, en me demandant si on pourrait se faire autochtones non plus d'un lieu, d'un espace physique, mais d'une époque, d'un espace temporel.

DCH : Et c'est ainsi qu'on revient à la répétitivité dans ce travail, qui rend très sensible la perception de la temporalité ?

Ayelen Parolin : On y construit un rapport au temps qui est cumulatif et "conséquentiel". Cela part d'une chose très simple, un pas, et cette même chose n'arrête jamais d'évoluer, au point de produire un grand cheminement que jamais rien ne vient interrompre. C'est un trajet, c'est sans coupures, c'est un processus de métamorphose incessante.

DCH : On peut supposer que seuls des interprètes qui vous sont très proches peuvent se saisir pleinement de pareils principes, particulièrement exigeants ?

Ayelen Parolin : C'est effectivement le cas pour deux des quatres. Les deux autres nous ont rejoints par audition. Mais ce projet a bénéficié de beaucoup de chance. Il fallait le faire très vite, pour la Biennale Charleroi Danse, un événement très important. Nous ne disposions que de trois semaines. J'étais moi-même très concentrée, extrêmement claire dans mes intentions, et cela s'est ressenti aussi dans la manière de concevoir l'audition.

Il n'y a jamais eu le moindre flou quant aux intentions. L'équipe s'est soudée très fortement, dans une espèce de communion, une relation très compacte. Il régnait un sentiment d'urgence, nous épargnant tout éparpillement, conduisant tout le monde à tirer dans le même sens. Je le souligne, car c'est assez exceptionnel de trouver cette cohésion totale entre les intuitions dans l'instant et la poursuite des idées forces.

DCH : Est-ce que ça a été aussi une question de mise en œuvre d'une technique de corps particulière ?

Ayelen Parolin : Pas spécialement. Mais dès le stade de l'audition, les participants potentiels savaient très clairement quel type de matériel il faudrait produire. Il n'y a eu aucun aternoiement, aucun tâtonnement pour s'adapter.

DCH : Une observation de la pièce sur vidéo laisse supposer que ses interprètes traversent des états d'épuisement. Cela est-il délibérément recherché ?

Ayelen Parolin : Cela peut se produire épisodiquement, mais n'est pas recherché en tant que tel. Il vaut mieux dire qu'il y a un enjeu sur la contrainte et sur la force qui, justement, permet d'aller bien au-delà que l'épuisement. Dans ce terme, j'entends un phénomène avant tout physique. Or, ce que nous recherchons se joue ailleurs, ça dépasse l'épuisement, ça traite du transcendental, des limites du corps et de la pensée. C'est aussi une question de qualité de conscience, et de mise en œuvre de capacités qui sont habituellement non connues, non utilisées. Tout cela parle d'une puissance autre, dans un autre registre. J'en reviendrai à la notion d'alchimie.

DCH : La même observation vidéo fait percevoir une présence très particulière de la musicienne, pianiste oeuvrant à même le plateau, très près dès danseurs, n'arrêtant pas de les accompagner du regard, très impliquée alors qu'elle produit des sons qui semblent surtout répétitifs, sur un instrument arrangé.

Ayelen Parolin : Il s'agit en effet d'un piano arrangé. Léa Petra est une musicienne qui œuvre directement pour et dans les pièces scéniques. Totalement là, mais dans un rapport de totale autonomie. Rien n'est constant : ici elle prendra la direction sur les danseurs, ailleurs elle ira contre eux, ailleurs cela se rencontrera en totale fusion. C'est un challenge énorme de travailler avec Léa Petra. Et j'adore ça.

DCH : Comme le titre l'indique, il y a eu une première version d'Autoctonos. Elle avait été assez fraîchement reçue. Apprenant qu'il y aurait une nouvelle version, on s'est pris à penser qu'elle serait corrigée pour se faire plus abordable, simplement confortable, pour les spectateurs. Autre chose se passe : Autoctonos II n'a finalement à peu près rien à voir avec la première version, mais est une pièce assez exigeante, sans guère de concession.

Ayelen Parolin : Dans la première pièce dont vous parlez, j'avais voulu toucher au sale, au chaotique, à l'opposé de la structure. Mais de grosses difficultés, des conflits, sont apparus en cours de processus, qui m'ont déstabilisée, au point que je ne me reconnaissais plus dans cette pièce. On m'a laissé une deuxième chance. Il m'est apparu que je ne pouvais absolument pas travailler les mêmes qualités, partir des mêmes enjeux. J'ai opté pour une toute autre direction, et même complètement inverse, très structurée, très méthodique, que nous évoquions tout à l'heure, et qui a formidablement marché. Toutefois, il est vrai qu'Autoctonos II peut toucher surtout un public assez connaisseur.

DCH :Comment vous sentez-vous, comme artiste argentine, développant votre travail à Bruxelles ?

Ayelen Parolin : J'ai eu un parcours de rêve. J'ai commencé la danse dès l'âge de 3 ans dans mon pays, puis continué classiquement au conservatoire, avant d'avoir cette chance unique de me retrouver à ex.e.r.ce, de travailler avec Mathilde Monnier, pouvoir entreprendre tôt mes propres projets. En Europe, particulièrement à Bruxelles, j'ai effectué quantité de rencontres qui m'ont permis de me découvrir moi-même.

Mais avant tout, je peux travaille ici dans le sens de l'exploration, de la prise de risque, comme pour la pièce Autoctonos II. J'aime profondément ce que je fais, j'y éprouve de la passion, je suis heureuse. Pourquoi ? Parce que je peux être honnête avec ce que je veux faire, quitte à ce que cela passe par des moments difficiles. Du reste, même ces difficultés sont stimulantes, en définitive. J'aime me sentir en danger.

Propos recueillis par Gérard mayen

Le 29 mai 2018

Autotocnos II – Mardi 5 juin 2018, 21h, Théâtre de l'Aquarium. Cartoucherie de Vincennes.
Festival June Events

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