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Les solos de Lin, Hansen et Hradliková aux Rencontres Chorégraphiques
De la disparition de la Pavlova aux sauts à la corde d’une jeune Pragoise, trois rapports à l’absence dans la vie et à la présence sur scène.
La mort d’un cygne, la dissolution d’un état, un corps qui n’existe qu’en étant traversé - quel lien peuvent-ils construire entre Prague, Taipeh, Berlin et Melbourne ? Ils peuvent, dans un premier temps, se retrouver sur un même plateau, aux Rencontres Chorégraphiques, pour un intense dialogue avec l’histoire et l’absence, avec Anita Mathieu dans le rôle de l’égérie. Ces trois solos, montrés au Colombier de Bagnolet, semblaient au départ n’avoir rien à se dire. Ils ont pourtant fini par révéler des résonances profondes.
Un cygne, la Pavlova et sa danse : La plénitude des absences
Martin Hansen, Australien installé à Berlin, travaillant autant avec Tino Sehgal qu’avec des compagnies australiennes comme Chunky Moves, se lance dans une hypothétique évocation d’Anna Pavlova et son monument chorégraphique, La Mort du Cygne. Un poème anglais, élisabéthain et romantique, évoque le trépas d’un « cygne argenté » alors que Hansen nous parle comme du décès d’une amie danseuse dont il incarnerait l’absence, avec des gestes qui « marquent » et parlent autant de la vanité à vouloir reconstruire cette danse que de l’impossible présence de la Pavlova.
Hansen n’entend pas non plus reconstruire la soirée du plateau vide à Saint Petersbourg, le jour du trépas de la Pavlova. Hansen va plus loin, remplaçant les projecteurs et même l’obscurité par des panneaux aux inscriptions correspondantes. Mais quand il dit « Au moment où je créais cette pièce, une amie proche venait de décéder », est-ce lui qui s’exprime ou bien la Pavlova? Quand il prend la position finale du cygne mort et qu’on entend les applaudissements, se situe-t-il dans l’évocation du passé ou dans son propre rêve? Et d’expliquer que ce n’est pas par la reconstruction de l’œuvre qu’on retrouve le passé, mais à travers les ambiances, les détails, les choses du quotidien...
Monumental est aussi une cérémonie qui permet de faire le deuil, grâce à une présence concrète qui aide à contrer la perte. Car quand un cygne meurt, c’est un poème qui s’en va. Mais avec le décès d’une danseuse, c’est tout un pan de la poésie elle-même qui disparaît. Seule la mémoire préserve le monument.
Yu-ju Lin : La transition comme état permanent
L’art de Yu-ju Lin, dans Sponge, est de ne pas évoquer, mais incarner l’absence. La sienne! La Taïwanaise qui est passée par le Cloud Gate II s’inspire du modèle biologique de l’éponge maritime, qui au lieu d’absorber l’eau, se laisse traverser et vit en osmose avec la mer.
Dans une délicatesse confondante, sa présence ressemble à celle d’une revenante en mode Nô. Son corps semble parfois avoir l’épaisseur d’une feuille de papier. Quand elle se courbe, l’air paraît plus lourd que le dos qui l’entoure.
Et les bras, dans la frénésie des joutes saccadées, n’en disent pas autre chose. Lin danse un état de transition, un non-état qui ne peut se définir qu’à travers son environnement, qui se situe toujours dans un ailleurs, dans le passé ou dans l’avenir et laisse advenir la danse sans la contraindre.
Tereza Hradliková : L’hyper-présence
Tereza Hradliková saute et saute et saute... Sa corde se plie à ses désirs, ou bien la met à terre. La jeune Pragoise aux jambes infatigables donne aussi à voir qu’elle a pratiqué la boxe.
Sur le plateau elle déploie une hyper-présence de l’instant sauté, qui ne connaît ni passé ni avenir. C’est pourtant de sa vie passée qu’elle nous parle dans Swish, de sa ville, des événements politiques et de la disparition de sa patrie, la Tchécoslovaquie.
Bref : De tout ce qui a fait qu’elle est là, telle quelle, aujourd’hui, sur ce plateau. Elle évoque ainsi la diversité des expériences et des voyages, le père entraîneur de hockey qui coache les activités sportives de la famille, ou bien la soirée au théâtre quand l’adolescente qu’elle était a détesté May B de Maguy Marin.
« Je vais à New York quand je veux être dans le présent » dit-elle, après s’être interrogée : « Où est la Tchécoslovaquie ? » En sautant à la corde, accompagnée du musicien Philip Misek, elle crée un théâtre d’ombres (à la fois du passé et du présent) et transforme ses sauts en matière chorégraphique, en modulant les intensités, les tempi, les lumières et son rapport à l’agrès lequel finit, tournoyant d’une lenteur étonnante, par se transformer en corde molle et ressembler, sous l’effet des lumières, à une bulle de savon géante.
Thomas Hahn
Spectacles vus le 25 mai 2018, Bagnolet, Le Colombier
Rencontres Chorégraphiques de Seine-Saint-Denis
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