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« Stayin Alive » de Mark Tompkins

Quitte à s'y égarer en partie, le chorégraphe revient en solo pour procéder à une radicale mais tendre mise à nu.

Il est un argument qui souvent exaspère lorsqu'on l'entend à la sortie des salles de spectacle. C'est celui qui consiste à déplorer une longueur excessive de la pièce qu'on vient de voir. Cet argument  exaspére, dans son incapacité à se relativiser, se mettre en perspective. Long ? Mais par rapport à quoi ? Selon quel critère ? Quelle norme ? Quelle nécessité ? Quelle faiblesse ? Et quand bien même la supposée longueur serait-elle effective, encore resterait-il à définir en quoi le long est moins bien que le court !

Et pourtant… Et pourtant, lâchons d'emblée la chose : il semble que Stayin Alive, la dernière pièce créée par Mark Tompkins, gagnerait à se voir rétrécie d'un bon coup. Ce solo est le premier, depuis une bonne décennie, que compose le fameux artiste américain de Paris. Il était très attendu, en ouverture du Printemps 2018 du Centre national de la danse. Il y faisait pendant à la reprise de la légendaire série des quatre solos des Hommages, remontant, eux, aux années 90 du siècle dernier.

La rareté temporelle n'était pas le seul ressort de l'attente nourrie à l'endroit de Stayin Alive. C'est aussi une question de contexte existenciel. Mark Tompkins compte parmi les artistes qui ont joué un rôle cardinal dans les développements de la danse contemporaine dans l'Hexagone. Il y a instillé un renouvellement stimulant dans la conception de l'interprétation, au jour des apports de l'art-performance et du redéploiement des stratégies perceptives.

Or, quels que soient ces états de service, et bien qu'il ait la lucidité de n'en faire aucun usage polémique public, ni argument dramaturgique littéral dans sa pièce, on sait que Tompkins fait aujourd'hui partie des artistes auxquels l'Institution indique la porte de sortie sans plus de forme d'élégance. Au regard de son parcours de vie, comme de ces circonstances, l'énoncé d'un Stayin Alive résonne alors très fort. Il éveille un souci de mémoire, et de travail à partir de la mémoire, qui mobilise activement la pensée des enjeux d'un art au présent.

Mark Tompkins s'y engage avec une fulgurance qui impressionne. Il y a mise à nu sur le fond, dans l'énoncé scénique, à la première personne auto-graphique, de thématiques intimes jusque là tenues hors du plateau : l'enfance et la prime jeunesse, l'orientation sexuelle, le sida qui fit « la mort devenir une performance à répétition ». Et c'est un corps chargé, raviné, qui s'avance dans une grande proximité des spectateur.ices installé.es en disposition tri-frontale.

Redisons d'emblée le talent d'acteur de Mark Tompkins, qui sait autant asséner un corps efflanqué sans esquive dans la longeur de vivre – et de rester en vie – que réveiller des lumières de jeune homme sur un visage d'évocations. Redisons très vite aussi le talent du chanteur, qui émaille la pièce à maintes reprises, tout dans son fil, avec une justesse qu'on a trouvée souvent plus convaincante que les essais en grands formats, dans la veine des spectacles musicaux explorée ces dernières années.

Chapka de mauvais cuir, redingote fruste, étonnantes chaussures rouge impeccables. Il y a de l'errant élimé dans la silhouette qui se présente devant un dédale configuré à la façon des files d'attente d'aéroports. Tompkins le parcourt en essaimant au sol perruque démesurée, belle robe satinée, animaux en peluche, icônes robotisées de Disneyland. C'est un bric-à-brac onirique des artifices scéniques, qui parsème ce parcours, conclu oppressé, humilié, à se vider les fonds de poche comme avant de passer un portique de contrôle de sécurité.

A quel agrément l'artiste en est-il réduit à concourir pour poursuivre son voyage ? Il en dit long, son regard cinglant fiché dans ceux des spectateurs. Débute alors une mise à nu littérale, sur le versant des chairs défaites, montrées sans subterfuges. Cela se poursuit en hoquets, en spasmes, de tout le corps, qui pourraient être ceux d'une copulation fictionnée. L'homme n'y laisse pas transparaître que de glorieux aspects. Or cela secouer le coeur de l'existence.

Quelque chose s'épuise et s'affale sur le meuble disposé là, pour enfin s'alanguir en position foetale. Toute cette persormance du dénuement humain, morale autant que physique, est saisissante en crudité de forme, autant qu'en densité philosophique. Cela se joue dans l'attente d'une renaissance, appelant des protections réparatrices.

C'est alors que Stayin Alive devient surtout parlé, et chanté. La narration selon Tompkins s'amorce à l'évocation du décès d'une mère adorée, dédicataire de la pièce. Une autre mise à nu opère, auto-fictionnelle. Hélas, elle vient à s'émousser, en cédant à la tentation des digressions en anecdotes secondaires. Ce n'est rien d'autre qu'un problème de faiblesse d'écriture, au sens de mise en ordre du récit.

Quelques actions émergent encore, telle l'édification, énigmatique, d'un totem constitué de chaises laissées libres d'occupants au premier rang. Tompkins en agence l'empilement enchevêtré, au prix d'équilibres incertains, conclus dans le grand fracas d'un effondrement. Un autre genre de vanité ?

On aura quitté Stayin Alive avec cette nuance particulière de la déception, qui est celle de n'avoir pu aimer tout à fait ce qu'on aurait voulu adorer (soit le défi d'une assomption des puissances de vivre, rester en vie, en création, telle que la brûlure de la performance scénique s'obstine à produire en actes un dépassement des limites). De cela, au moins la pétition de principe reste intacte.

Gérard Mayen

Spectacle vu le 21 mars 2018 (lendemain de première de création) au CN D, Centre national de la danse, à Pantin.

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