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Ballet de l’Opéra de Paris : «Onéguine»
Entré en 2009 au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris, Onéguine de John Cranko a depuis fait l’objet de reprises régulières, au grand bonheur du public comme des danseurs. Pour ces derniers, qu’il s’agisse de jeunes talents ou de solistes expérimentés - souvenons-nous des magnifiques adieux à la scène d’Isabelle Ciaravola - cette sublime histoire de passion contrariée représente une sorte de Graal, à la fois technique et émotionnel.
Le ballet alterne ensembles et pas de deux dans la plus pure tradition académique, mais il met aussi en scène des trios à la grande puissance dramatique, des portés acrobatiques d’une difficulté extrême et des corps à corps au sol à l’expressivité toute contemporaine. La danse y raconte une histoire psychologiquement complexe et, à ce titre, Onéguine créé sur la trame du roman en vers d’Alexandre Pouchkine constitue l’archétype du ballet narratif.
Rappelons brièvement l’intrigue : Tatiana, jeune fille de l’aristocratie russe, éprouve un coup de foudre pour le dandy Onéguine que lui présente le poète Lenski, fiancé de sa sœur Olga. Elle rêve de lui et lui écrit une lettre d’amour, qu’Onéguine déchire cruellement sous ses yeux lors d’un bal, avant de flirter ostensiblement avec Olga. Furieux, Lenski provoque Onéguine en duel et meurt du coup de pistolet tiré par ce dernier. Quelques années plus tard, lors d’un bal, Onéguine croise à nouveau Tatiana, devenue l’épouse du prince Grémine. Il tombe alors - enfin ! - éperdument amoureux d’elle et à son tour, lui déclare sa flamme dans une lettre. Bien que bouleversée, celle-ci finit par repousser ses avances lors d’une ultime entrevue et déchire sa missive. La dimension théâtrale de l’œuvre est évidente, comme est décisive la façon dont chaque membre du quatuor s’empare de son personnage.
D’où l’intérêt de découvrir deux distributions, celle du 17 février qui réunissait un quatuor d’ ‘habitués’ : Mathieu Ganio et Ludmila Pagliero dans le couple vedette, Mathias Heyman et Myriam Ould-Braham en Lenski et Olga ; et celle du 28 février avec quatre prises de rôle, Hugo Marchand - Sae Eun Park d’une part, Germain Louvet-Léonore Baulac d’autre part.
Mathieu Ganio, d’une constante élégance, interprétait un Onéguine à la séduction aussi froide que l’acier : indifférent dans le premier acte, insupportable dans le deuxième. Une sorte de Dorian Gray aussi détestable que beau. Mais derrière son égoïsme implacable se devinait, même - trop - ténue, une profondeur mélancolique qui éclatait enfin dans le sublime final du troisième acte.
Sa diagonale à genoux derrière une Tatiana chavirée était réellement bouleversante. Dans cette scène sa partenaire, en tragédienne amoureuse, n’était pas en reste. Elle se laissait enfin submerger par une émotion - retenue dans les actes précédents. Mention spéciale à Mathias Heymann, qui fut jadis nommé dans ce rôle, et Myriam Ould-Braham, gracieuse sans être inconsistante, l’un et l’autre toujours justes dans deux rôles qu’ils connaissent parfaitement.
A l’inverse de cette interprétation très ‘école française’, la seconde distribution avait choisi la carte d’une théâtralité soulignée au feutre rouge.
Hugo Marchand, à la danse toujours impeccable, avait le visage couvert d’un maquillage exagérément ténébreux et campait un Onéguine si odieux qu’il en paraissait presque caricatural. Sae Eun Park jouait une Tatiana innocente à la limite de l’évanescence, sa sœur Olga (Léonore Baulac) semblait une coquette irresponsable. Quant à Lenski (Germain Louvet), il manquait encore quelque peu de poids face à l’autorité brutale d’Onéguine. Avantage : ces caractères marqués donnaient à la pièce une tension dramatique intense, qui allait crescendo jusqu’au dénouement.
Deux casts, deux visions d’un ballet à la richesse psychologique décidément inépuisable.
Isabelle Calabre
Palais Garnier. Du 09 février au 07 mars 2018.
Spectacles vus les 17 et 28 février 2018.
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