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Sine Qua Non Art : « Versus »

« Versus » de Sine Qua Non Art

Des corps comme fractionnés par la lumière, baignés de couleurs et libérés par leurs propres reflets. Créé au KLAP, Versus arrive aux Hivernales.

La danse a rarement ébranlé la certitude du spectateur avec autant d’acuité. Que voyons-nous ? Un homme, ou deux ? Ou un homme et son reflet ? Ou bien trois hommes, carrément ? L’œil n’en sait rien. Par contre, on devine bien que ce qu’on voit, à savoir un corps transformé en trame et sectionné par des couleurs changeant en permanence, n’est autre que le résultat de plusieurs arts - visuel, plastique, chorégraphique - qui se traversent avec une intensité ardente, et en même temps délicate.

Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours décrivent Versus comme un solo pour deux danseurs. Et il est vrai que sous ce prisme en transformation permanente, chacun d’entre eux pourrait être le reflet de l’autre. On les aperçoit, et ils se croisent, à travers une lignée de lamelles, rideau transparent et mobile, mais aussi tranchant et capable de projeter leurs reflets dilatés à travers l’espace. On songe à l’histoire de l’homme qui a perdu son ombre...

Enigmes cinématiques

Les sources lumineuses mêmes restent indétectables, et la gestuelle rajoute à l’énigme. Lente, faite de développés qui vont chercher l’espace au bout des pieds et des muscles, elle accentue la masculinité, pour mieux la mettre en crise, par des accessoires d’un autre monde, qu’il soit féminin ou merveilleux.

Versus est un essai (dans le sens littéraire du terme) unique. Seul Hiroaki Umeda s’est montré capable de mettre en question l’intégrité du corps d’une manière aussi esthétique et fluide [notre critique]. Mais il avait à sa disposition des moyens techniques très conséquents pour mettre en scène la fragilité de l’homme. Versus se présente sous un jour nettement plus joyeux et facétieux, alors que danser signifie ici que le corps se divise, verticalement ou horizontalement - pour mieux épouser les univers lumineux et sonores. Jusque dans des clairs-obscurs où les LED transforment un visage en tableau de Renaissance.

Sculpture ouverte

L’installation mobile de Versus, un store « californien » géant et ultraraffiné, est l’œuvre de l’artiste visuel Etienne Rey, très rompu à créer des mirages faits de formes, de reflets et de couleurs. Une métaphore plastique, pour dire qu’aucune frontière n’est jamais aussi étanche que certains ne laissent entendre. Entre les danseurs, entre le masculin et le féminin, entre l’horizontal et le vertical, tout est matière à négociation, autant qu’entre le chant baroque du ténor Edouard Hazebrouck et le compositeur électro Damien Skoracki formé à l’IRCAM. De Didon & Enée de Purcell, à la techno, s’établit un jeu de vases communicants.

L’unité entre tous les langages artistiques est le fruit d’une recherche aiguisée à l’extrême et partagée dans une fraternité sans faille. Les rythmes sont mesurés et les effets tempérés, évitant toute surenchère, tout glissement vers des ambiances luxurieuses. Après Exuvie, leur création dans 150 kg de cire, Béranger et Pranlas-Descours abordent la lumière comme une autre mise en abyme du corps, avec la même conséquence et fulgurance.

Thomas Hahn

Spectacle créé le 22 février au KLAP, Maison pour la danse, Marseille
Aux Hivernales d’Avignon le 2 mars 2018
Les 22 et 23 mars au CCN La Rochelle
Janvier 2019 à Chaillot - Théâtre National de la Danse

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