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« Primal » de Tomeo Vergés
Un cri si puissant et si intime qu’il ne peut émettre aucun son.
Habité depuis longtemps par le texte de Heiner Müller, Paysage sous surveillance, Tomeo Vergés appui sa création, Primal, sur la description d’une image proche des errances, du rêve, dans un paysage au-delà de la mort. « Ce qui me semble intéressant dans le texte, c’est de rendre sensible le mouvement et d’en saisir une forme d’énergie. Heiner Müller dit aussi s’être inspiré, entre autres, des Oiseaux, d’Hitchcock. Un film qui est également une source d’inspiration pour notre travail. » (lire notre interview)
Trois danseurs s’enfoncent dans les nimbes d’une grande masse informe aux teintes sombres et menaçantes. Ce dispositif mouvant les ensevelit comme une immense toile d’araignée et les mène vers un tunnel d’horreur. Vers leurs drames intimes, vers leurs souvenirs douloureux, vers leurs non-dits.
Par de légers mouvements, ils arrivent à s’extirper de cet univers pour enfin rejoindre la lumière tout en conservant des réminiscences de cette aventure.
Que c’est-il passé ? La suite de la pièce laisse deviner que ces personnages sont dans de nouvelles conditions mentales : soit en état d’hypnose, soit en fin de transe car des images troublantes apparaissent comme des hallucinations. Un cerf, une cage, des perruques… et puis une chanson enfantine I married a wife qui délivrent des pointes d’humour en corrélation avec une tragédie qu’ils voudraient exorciser.
Mais ce cri de délivrance ne peut jaillir tant il est violent, intense, déchirant. Cet état fait songer au tableau de Munch, Le Cri, qui représente une figure humanoïde avec une expression horrifiée.
La masse avec laquelle ils se recouvrent le corps s’avère être une multitude de cheveux entremêlés finalement ratissée par le compositeur Denis Mariotte qui signe un espace sonore troublant.
« Cette scénographie symbolise les monstres avec lesquels les interprètes se débattent. Dans ce monde souterrain, ils deviennent roi, reines ou monstrueux » explique à l’issue de la représentation Tomeo Vergés à une classe de jeunes spectateurs.
Sandrine Maisonneuve, Alvaro Morell, Antje Schur sont excellents au sein des ces rôles à multiples facettes. La danse de Primal est suggestive et la direction artistique de Tomeo Vergés pleine de sensibilité raconte les sous terrains de nos existences.
Pour finir, l’horrible masse de cheveux est hissée en un seul énorme morceau que Denis Mariotte coupe au ras du crochet et cet agglomérat s’écroule lamentablement perdant ainsi tout son mystère.
On ressent une sensation d’étouffement alors que pour le chorégraphe, cela signifie une respiration, une libération et le fait d’avoir appris à vivre avec ses monstruosités.
Dans Primal on retrouve l‘œuvre de Müller où le vrai tragique est comique. On perçoit l’engagement de l’hypnothérapeute François Roustang (1923/2016) qui a influencé le style de Tomeo Vergés. Ce dernier a réussi l’exploit d’arriver à dessiner par le biais de la danse, de la scénographie, de la musique et des lumières, une pièce poétique et énigmatique sur les profondeurs de l’être humain.
Sophie Lesort
Spectacle vu en création à l’Atelier de Paris le 25 janvier 2018
Primal de Tomeo Vergés, compagnie Man Drake
Les 1er et 2 février à L'Onde de vélisy
Les 9 et 10 février au théâtre Berthelot (Montreuil) – le 7 avril au théâtre Antoine Vitez (Ivry-sur-Seine) - le 12 avril au Centre des bords de Marne (le Perreux sur Marne)
Interprètes : Sandrine Maisonneuve, Alvaro Morell, Antje Schur, Denis Mariotte
Lumières : Ondine Trager
Espace sonore : Denis Mariotte
Scénographie et costumes : Anaïs Heureaux
Travail vocal : Eve Coquart
Régie générale : Olivier Mendili
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