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Festival Trajectoires à Nantes
Festival Trajectoires à Nantes : un large éventail de contemporain
Ce nouveau festival propose un parcours à travers une métropole nantaise très étendue et de composer soi-même son programme de découvertes parmi une série d’activités diverses : spectacles, performances, revue de presse sociopolitique de Jean-Marc Adolphe intitulée Le Cours des choses, expositions...
Théâtre optique
Notre rapide excursion a débuté par la visite de l’exposition Jest d’Ilaria Turba à l’Atelier (lieu qui tire son nom de celui du sculpteur local Gérard Voisin), placée sous le signe des souvenirs et des photos de famille. Avec le soin extrême qu’on connaît aux Italiens, la plasticienne a contretypé nombre de clichés, les a souvent recadrés, en a agrandi des détails et a créé, précisément, un jeu de sept familles à partir de l’iconothèque intime dont elle a hérité, qui remonte jusqu’à l’époque garibaldienne. Dans ce même cadre, nous avons assisté à une brève pièce conçue par Ambra Senatore et Ilaria Turba, dans l’esprit des dioramas, des récréations cinétiques et des divertissements pré-cinématographiques du XIXe siècle.
Jouant sur un fond noir facilitant le camouflage de tout ou partie du corps, deux manipulatrices, la plasticienne et Lola Janan, font apparaître, vivre puis disparaître de petits objets colorés, des formes élémentaires, des signes graphiques et photographiques. Les tenues sombres des marionnettistes, des paravents et le dispositif lumineux de haute précision isolent et donnent à contempler ces éléments. On pense aux tours de passe-passe de Robert Houdin, au cabaret futuriste à base d’automates, aux contrastes colorés et aux modulations lumineuses du Bauhaus, à des collages surréalistes animés et, plus près de nous, à Mummenschanz ou à Momix. Le motif de l’éventail, dont l’usage était codé dans la bourgeoisie de l’Italie du nord, formait une langue de signes pouvant transmettre les désirs féminins, étant un élément commun au spectacle et à l’exhibition d’art.
Chaos orchestré
Pour une fois, le titre d’une pièce, en l’occurrence Unisson, d’Ashley Chen, permet de s’en faire une idée exacte. Il nous a en effet semblé que la danse – et danse il y a, c’est assez rare de nos jours pour qu’on ait à le souligner – est choralement interprétée par sept intermittents constamment présents sur scène. Quoique dépareillés dans leurs criardes parures, ils donnent l’impression d’exécuter leur tâche en synchronie parfaite, totale, comptant sur eux-mêmes comme sur leurs partenaires ou comptant tout court, pulsés par la musique électro-acoustique produite en direct par le remarquable compositeur et poly-instrumentiste Pierre Le Bourgeois.
Certes, il y a bien à bord un choréauteur des suites de danses, les unes inspirées par le clubbing – thématique assez répandue depuis plusieurs saisons maintenant –, les autres remontant à plus loin. Mais tout se passe comme si le musicien utilisait lui aussi les danseurs comme des interprètes rythmiques.
Le chef d’orchestre est paradoxal, avec son allure d’élève du Domaine musical pour qui la cravate est de rigueur, une pilosité existentialiste, un instrument baroque dont il use savamment (le violoncelle), des bottines de Teddy Boy, une canette de bière à portée et la sauvagerie pouvant contredire le premier abord. Lui et son alter ego de la maison Lumière, Eric Wurtz, se donnent en spectacle, accompagnent le mouvement d’ensemble qu’ils contribuent à produire de leur variation corporelle, tout en veillant au grain. La scénographie est, comme souvent, depuis une vingtaine d’années, un capharnaüm – ici de cartons de déménagement, de timbales pour pop-corn, de gobelets en papier, de couvertures de survie en alu, de bâches plastiques et de bandes de tissu. Le négligé apparent signe le ralliement à la confrérie de la vogue.
Néanmoins, ce bric-à-brac visuel, sonore et gestique est ordonné, structuré en son déroulé, rangé au poil près en deuxième partie. La lumière wurtzienne transforme alors le rebut social en autels votifs, en étalages précieux, en installation d’arte povera. La création a été longuement applaudie par le public venu en nombre dans la salle du CCNN.
Jeux de grands enfants
Une émission de la télé en noir et blanc de la fin des années 60, Les Grands enfants, jonglait avec les mots d’esprit d’amuseurs et de chansonniers célèbres (Sophie Desmarets, Jean Poiret, Michel Serrault, Francis Blanche, Roger Pierre, Jean-Marc Thibault, Jacques Martin, José Artur, Philippe Clay, Jean Yanne...). Mais c’est plutôt à un jeu radiophonique de disciples de l’Oulipo que se réfère le programme de Jeux chorégraphiques animé avec talent par Rémy Héritier et son complice Laurent Pichaud. Le premier, meneur de jeu efficace et comédien malicieux réunit chaque soir une équipe de danseurs ou de chorégraphes différents ne se prenant pas (tous) au sérieux.
Le premier soir, trois devinettes étaient proposées et illustrées de passages à l’acte, sitôt dit, sitôt fait, censés aider à résoudre les énigmes : diagnostic chorégraphique à l’aveugle (à la lecture d’un bref écrit sur la danse) ; reprise de rôle (en l’occurrence par la fougueuse Julie Nioche) ; experts et faussaires (trouver la bonne version du début du Sacre de Béjart parmi les trois proposées par les élèves du diplôme de danse du Pont Supérieur). Le danseur et co-animateur Laurent Pichaud, a découvert (au second tour de table) l’auteur du fameux texte grâce à son intuition (et à un audacieux pari) ; Loïc Touzé a inventé un début de ballet au solo de Nioche (une pièce sans doute célèbre en Belgique mais inconnue en France de Steve Paxton) ; les jeunes interprètes en danse nous ont régalé de faux presque aussi crédibles que le vrai passage béjartien. Autant dire que la soirée s’est terminée tard au théâtre universitaire mais dans la joie, la bonne humeur.
Nicolas Villodre
Spectacles vus les 21 et 22 janvier
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