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« Sous la peau » : Entretien avec Nathalie Pernette
Par un trio aux allures subversives, Nathalie Pernette interroge la perte de corporalité sensuelle qui impacte nos sociétés futures.
Le 22 janvier, Nathalie Pernette présente sa nouvelle création à la Scène Nationale de Mâcon, en partenariat avec Art-Danse Bourgogne. Dans un entretien exclusif, elle détaille les intentions d’une pièce impulsée par la rencontre avec les adultes de demain.
Danser Canal Historique : Dans vos créations précédentes, vous vous êtes frottée à la pierre. Maintenant vous allez Sous la peau. Il paraît que vous y creusez le lien au corps et à l’érotisme dans la société smartphonisée ?
Nathalie Pernette : Sous la peau est un spectacle qui veut réveiller les forces des adolescents et rappeler des choses aux adultes, concernant le rapport au corps et à la sensualité. Au départ, j’ai mené une sorte d’enquête sur les mots que les adolescents et les adultes associent à la sensualité. Il en est sorti un éventail qui va de frôlement en effleurement, et donc d’une infinie douceur, à des choses beaucoup plus carnassières. C’est toute cette palette dans l’approche et la relation amoureuse que j’ai voulu mettre en tension et en mouvement. Nos trois interprètes forment des couples, consentants bien sûr, dans les soubresauts et les chaos de l’acte amoureux.
DCH : Comment les adolescents ont-ils réagi à Sous la peau ? Confrontés à l’érotisme, ils cachent habituellement leur gêne par le rire. Et ici ?
Nathalie Pernette : C’est vrai, mais ici ça n’a pas été le cas. Est-ce dû à notre entrée en matière ? J’ai voulu traquer la chose d’une manière à la fois logique et fractionnée. La pièce se présente sous une suite de saynètes, entrecoupées par des noirs. Cela met le public en position de voyeur, comme si on ouvrait des portes. Mais on ne voit pas forcément le début de l’action, ni la fin. Ce sont des ellipses qui invitent chacun à faire fonctionner son imaginaire.
DCH : En matière d’érotisme, l’imaginaire est foisonnant, même chez les ados. Ne faut-il pas plutôt le canaliser ?
Nathalie Pernette : Nous commençons par la question du regard : Comment est-ce qu’on regarde l’autre, avec quelle tonalité, à travers quel désir sous-jacent ? C’est la question de l’espace, de la distance, du frôlement, jusqu’à être dans un rapport physique, où toute la palette des contacts crée la danse. Ca va de la morsure au fait de lécher, d’empoigner… C’est tout un vocabulaire tactile qui traite le corps comme une sorte de matière, à la fois abstraite et très incarnée par les danseurs.
DCH : Les adolescents arrivent-ils à mettre des mots sur ce qu’ils ont vu et ressenti ?
Nathalie Pernette : On n’a pas encore eu de représentation suivie d’une rencontre avec les adolescents, mais ils ont été préparés par notre équipe, juste avant, de manière à créer le trouble sur cette question des corps qui se rencontrent. Ensuite, pendant le spectacle, nous n'avons constaté zéro ricanement, mais un silence absolu, interrompu de rires aux bons moments.
DCH : Vous mettez donc aussi de l’humour, des moments drôles ?
Nathalie Pernette : Exact. De toute façon, nous essayons toujours de cultiver une forme de savant décalage, et ça passe aussi par l’oreille, par tous les sons, petits ou grands, qu’ils nous plaisent ou nous déplaisent. Nous avons créé une sorte de chorale érotique faite à partir de tout ce qu’on peut entendre dans le noir.
DCH : Votre discours sur Sous la peau met en avant la perte progressive chez les jeunes d’un rapport naturel au corps. D’où viennent vos observations ? Avez-vous des enfants ?
Nathalie Pernette : Je n’ai pas d’enfants, mais j’ai mené beaucoup d’ateliers avec des jeunes et j’ai constaté, depuis un certain nombre d’années, que le corps est moins présent et que les jeunes perdent cette capacité de l’être animal, pour le dire ainsi. Il s’agit de la capacité à toucher d’une manière instinctive, de distinguer finement les odeurs, et tant d’autres choses. Il y a comme une insensibilité à ressentir son propre corps qui me fait peur. Qu’est-ce que cela signifie pour nos sociétés futures ? Quand les corps s’absentent, ça devient dangereux.
DCH : Les corps s’absentent ? Qu’entendez-vous par là ?
Nathalie Pernette : Le corps ne sert plus qu’à porter, à déplacer. Ou bien il part à la recherche d’un bien-être formaté. Il n’est jamais là pour exulter, à faire ressortir des choses. Et il est donc rarement créatif, sauf chez les danseurs. Par contre, il et souvent compétitif.
DCH : Vous venez de terminer une série de spectacles en lien avec le patrimoine, de La figure du Gisant à La Figure du baiser. La nouvelle pièce marque un tournant, mais semble aussi cultiver un lien avec ces créations, où le corps, a priori pétrifié, se réveille.
Nathalie Pernette : En effet, il existe un lien avec La Figure du baiser, où il y avait une entrée plus fraternelle, dans la rencontre avec les spectateurs et un rapport potentiellement amoureux entre eux et les danseurs. Cela nous interrogeait sur la manière d’être avec l’autre, dans la ville. A la fin, on pouvait même fantasmer un baiser. Mais dans Sous la peau, et donc sur le plateau, nous pouvons nous permettre des choses que la loi même interdit dans l’espace public !
Propos recueillis par Thomas Hahn
Sous la peau le 22 janvier à 20h30 : Le Théâtre, Scène nationale de Mâcon
Spectacle suivi de Sous ma peau (quelle coïncidence!) de Maxence Rey, Cie Betula Lenta
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