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Adieu à Bénédicte Pesle
Celle qui fut l'agent notamment de Merce Cunningham, Trisha Brown et Bob Wilson, nous a quitté ce matin du 17 janvier 2018. Elle avait 90 ans.
Bénédicte Pesle, au service de l’art
Bénédicte Pesle était sans doute moins connue que certains agents artistiques ayant, avant elle, contribué à faire connaître la danse dans ses formes les plus novatrices. On pense par exemple à Loïe Fuller[i], à Serge de Diaghilev[ii], à Rolf de Maré[iii], ou à Sol Hurok[iv]. Nous savons maintenant, avec un certain recul, l’importance qu’ont revêtue imprésarios, producteurs, administrateurs et agents artistiques dans la diffusion et, par là même, la réception de l’art de Terpsichore.
Avec son concurrent et collègue Thomas Erdos, Bénédicte Pesle aura agi efficacement en France et, pour partie, en Europe pour défendre les intérêts de ses « poulains » et valoriser leur travail. La liste de l’une et de l’autre est longue et nous nous bornons à en citer certains qui font déjà partie de l’histoire de la seconde moitié du XXe siècle : Martha Graham, Merce Cunningham, Trisha Brown, Bob Wilson, Lucinda Childs, Alwin Nikolais, Carolyn Carlson, Pina Bausch. Dans un entretien accordé à Marie Glon[v], Bénédicte Pesle se racontait sans fard : après des études de philo, elle travaille comme libraire à La Hune, puis dans une librairie de Boston, ville où elle fera, en 1952, la connaissance de Merce Cunningham et de John Cage, avec lesquels elle se lie d’amitié. C’est en assistant aux répétitions de Cunningham dans son studio qu’elle découvre, dit-elle, la danse. De retour en France, elle passe de la librairie à la galerie d’art et se fait embaucher par Alexandre Iolas dans sa succursale parisienne du boulevard Saint Germain. En parallèle, elle commence à prospecter pour faire inviter la petite compagnie de Cunningham en France.
Elle qualifie cette action de « militante ». Françoise et Dominique Dupuy sont les premiers en France à faire venir la troupe, au Théâtre de l’Est parisien et aux Baux-de-Provence. La Belgique et l’Allemagne ont déjà, grâce à l’entregent de Cage, invité une formule légère de la compagnie pour quelques spectacles et aussi des émissions de télévision. Par le milieu des galeristes, Cage-Cunningham sont amenés à se produire à la fondation Maeght en 1966 dans le cadre d’un festival de musique contemporaine. Jean Robin, conseillé par Michel Guy, programme Cunningham ainsi que Nikolais au festival international de danse de Paris, à l’Odéon, en 1970. La suite, on la connaît : en 1973, Michel Guy impose le ballet cunninghamien Un jour ou deux, interprété par l’audacieux duo d’étoiles Wilfride Piollet et Jean Guizerix à l’Opéra de Paris, au grand dam des abonnés !
Après avoir découvert la modern dance, Bénédicte passe à la vitesse supérieure, celle de la postmodern – qu’on appelait à l’époque la Judson. Avec ses amies Mimi Johnson, Monsa Norberg et Dorothée Georgel, elle décide d’ouvrir une agence à Paris qui prend le nom d’Artservice et qui défend diverses formes d’expression et des artistes très différents : Bob Wilson, Richard Foreman, Philip Glass, Steve Reich, Meredith Monk, Lucinda Childs, Trisha Brown, Twyla Tharp, Karole Armitage, Dominique Bagouet, Régine Chopinot, François Verret, Catherine Diverrès, etc. Artservice s’adjoint la collaboration de Denise Luccioni, Thérèse Barbanel, Claire Verlet, Julie George et Damien Valette. Cette conception de l’agence artistique comme « bureau de production » et de diffusion, relativement nouvelle à l’époque, ne fonctionne que sur la corde raide et suppose un sacrifice de tous les instants. Le bureau finit par fermer – le prix du loyer germanopratin entrant sans doute aussi en ligne de compte. Mais chacune et chacun continueront, dans d’autres structures, à soutenir les artistes : Thérèse s’occupant de Trisha Brown (de Lia Rodrigues et de Castafiore Système), Luccioni gardant le contact avec les gens de théâtre (ainsi qu’avec Steve Paxton), Julie George se chargeant de diffuser Marie Chouinard, Damien Valette veillant sur Robyn Orlin et sur le nouveau prodige qu’est Daniel Linehan...
Bénédicte Pesle aura gardé la confiance de Cunningham jusqu’à la mort du chorégraphe et aura continué à superviser personnellement les créations de Bob Wilson et de Lucinda Childs jusqu’à son dernier souffle. Elle a connu des drames qu’elle a gardés intimes (la mort de sa compagne Arlette Marchal, la disparition de son frère Etienne sous la dictature chilienne, la perte tragique de sa sœur Dorothée) et surmontés avec courage, sans montrer ni sa peine ni sa sensibilité. Dans le documentaire de Klaus Wildenhahn, John Cage (1966) qui dévoile les coulisses du festival de 1966 à la fondation Maeght, on l’entend en voix off discourir en anglais avec un accent français fort appuyé. On l’entrevoit une ou deux secondes, traduisant une critique de danse de l’hebdomadaire L’Express (d’Otto Hahn, probablement), rassurant les artistes en leur expliquant que le terme rabelaisien de « farfelu » n’est nullement… péjoratif !
Nicolas Villodre
[i] Loïe Fuller lança la carrière d’Isadora Duncan, de Sada Yacco ou de la Petite Hanako.
[ii] Serge de Diaghilev, après avoir organisé des expositions de peinture et des concerts de chanteurs d’opéra comme Chaliapine, imagina le concept de « Ballets Russes », suscitant nombre de vocations, de chefs d’œuvre chorégraphiques, plastiques et musicaux.
[iii] Rof de Maré fut le mécène ou producteur des Ballets Suédois et le pygmalion de Jean Börlin.
[iv] Sol Hurok se chargea des tournées américaines des Ballets Russes du colonel de Basil, de celles d’Anna Pavlova, de Mary Wigman, de Carmen Amaya, de Vicente Escudero, de Katherine Dunham.
[v] Repères, cahier de danse, n° 23, Vitry, 2009.
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