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Suresnes Cités Danse : Entretien avec David Drouard

David Drouard : « Mon (S)acre est une pièce engagée »

(S)acre , sa nouvelle création, inaugure avec éclat la 26e édition du festival Suresnes cités danse. Entretien avec David Drouard, chorégraphe contemporain… et féministe !

DCH : Pourquoi, après tant d’autres, proposer votre lecture du « Sacre du Printemps » ?

David Drouard : Ce qui m’intéressait d’abord dans cette œuvre, c’était le contexte historique dans lequel elle a été créée. Au début du siècle dernier, en pleine ère industrielle, au moment où l’on commence à produire des voitures à la chaîne dans les usines. Et au milieu de tout cela, une histoire de communauté primitive et de sacrifice humain. Je me suis mis à faire des recherches, j’ai étudié le rapport particulier que le tournant du XXe siècle entretenait avec l’exotisme, notamment au travers des zoos humains, attractions très courues qui font écho à l’étrangeté des Ballets ‘Russes’. A partir de cette thématique, j’ai voulu tirer un fil avec l’actualité contemporaine en focalisant mon propos sur cette fameuse Elue, une vierge que des hommes violent, sacrifient et tuent au nom du Dieu du printemps.

DCH : Vous avez donc décidé qu’il s’agirait d’une pièce 100% féminine ?

David Drouard : Oui, car j’en avais assez de cette image de femme victime. J’ai cherché comment renverser la perspective sans savoir que Mary Wigman avait entrepris la même démarche à la fin des années cinquante. J’ai voulu parler des femmes, non pas d’une élue mais des élues. Dans mon « (S)acre », il n’est pas question d’un sacrifice mais de rites successifs. Ce que je veux mettre en lumière, ce sont les rapports horizontaux de ces neuf femmes entre elles, les liens qu’elles tissent. Je me suis aussi penché sur la figure ancestrale de la sorcière : celle qui connaît les plantes, qui est en lien avec la nature. Elle incarne cette terre sourcière que l’on retrouve dans la version de Pina Bausch, ou dans le gazon du « Sacre » de Preljocaj.

DCH : C’est pour cela que vous avez collaboré avec le paysagiste Gilles Clément ?

David Drouard : En fait, Gilles Clément était présent dès la genèse du projet. J’avais fait sa connaissance avant la création de « Hubris » (présenté et coproduit en 2015 par Suresnes cités danse). Originaire de la Mayenne, j’envisageais alors un break dans ma carrière de chorégraphe pour faire un retour familial à la nature, et entreprendre des études d’architecte paysagiste. En parallèle, j’avais commencé à parler de mon projet de Sacre à des professionnels qui, très vite, ont manifesté leur intérêt. Du coup, mes projets d’études sont tombés à l’eau, mais j’ai néanmoins rencontré Gilles Clément. Je lui ai proposé de collaborer à cette création. Alors qu’auparavant, il n’avait jamais travaillé sur un spectacle vivant, il a accepté.

DCH : Qu’a-t-il imaginé pour cette pièce ?

David Drouard : Un véritable jardin sauvage, qui fait exister sur scène toutes sortes de plantes. En dehors des représentations, elles poussent et sont entretenues en gardiennage dans une pépinière. Il ne s’agit pas d’un décor mais d’une sorte de couloir végétal, qui fait irruption sur le plateau et surgit au travers du plancher éventré comme si la nature reprenait ses droits. Il est composé de graminées en pots, des joncs, des plantes grasses, des mousses et des lierres de toutes tailles. Autour, des matériaux vieillis, des rideaux au tissu détrempé, des tapis de sol retravaillés pour présenter une apparence jaunie et moisie, suggèrent un univers immémorial et sans âge.

DCH : Pourquoi ne pas avoir gardé la musique de Stravinsky ?

David Drouard : J’aime le rapport décomplexé qu’entretient avec la musique le public des concerts de rock, à la différence de celui - beaucoup plus révérencieux - des concerts classiques. J’ai demandé à trois musiciennes, Simone Aubert, Agathe Max et Emilie Rougier, de composer une partition contemporaine qui s’inspire de la structure rythmique du Sacre, avec ses tempi particuliers et ses ruptures. Elles ont également repris au violon quelques mesures de Stravinsky et les ont transformées en motif spectral. Toutefois, vers la fin, j’ai éprouvé le besoin de faire entendre la partition originelle, et j’ai réintroduit comme une citation un extrait de la danse sacrale.

DCH : Votre Sacre est-il féminin, ou féministe ?

David Drouard : C’est une pièce non pas militante, mais engagée, qui affirme le rôle primordial et la force de toutes les femmes. L’Elue est tirée au sort à chaque représentation. C’est la violoniste, Agathe, qui la choisit et la désigne du regard pour être la porte-parole de ses compagnes. Dans cette pièce, la sororité est un thème central, chaque femme invite successivement ses sœurs à accomplir les rites agraires du printemps, en communiquant par les yeux et même par des spasmes du ventre, comme si toutes ne formaient qu’un seul et même élément organique. Leur danse est tribale, guerrière.

DCH : Comment avez-vous choisi vos interprètes ?

David Drouard : J’ai fait passer des auditions à Lyon et La Briqueterie en janvier dernier. Sur les mille quatre cents CV reçus, j’en ai vu quatre cents ! Je cherchais des danseuses avec une certaine expérience, quel que soit leur style de danse ou leur âge. Et j’en voulais neuf, afin de composer trois trios. Ce chiffre trois est un principe de circulation chorégraphique qui fait écho au concept du Tiers Paysage ,de Gilles Clément, désignant des espaces à la fois délaissés, protégés et inaccessibles. Parmi les interprètes, Ingrid Estarque est une familière de Suresnes cités danse (Elle a notamment participé à la soirée anniversaire des 25 ans du festival orchestrée par Farid Berki, reprise cette année du 26 au 28 janvier).

DCH : Quelles ont été vos inspirations spécifiquement chorégraphiques ?

David Drouard : Même si je suis fasciné les écritures du hip hop et surtout du krump, je n’ai pas de stéréotypes en matière de danse. Je voulais simplement que chacun sorte de sa zone de confort. J’ai donc beaucoup travaillé à partir d’improvisations, en demandant aux danseuses de ne pas reproduire certains automatismes et d’oser se mettre à nu. Je leur ai ensuite donné des directives, j’ai organisé les directions générales, défini le temps donné à chacune pour les solos et organisé leurs relations au groupe. Le but n’était pas de faire un ballet narratif, mais une pièce sensible qui fonctionne comme une communauté suffisamment ouverte vers l’extérieur pour que le public puisse s’y projeter.

DCH : Après F(aune) en 2012 et (H)ubris en 2015, avez-vous avec ce (S)acre le sentiment d’avoir en quelque sorte bouclé la boucle ?

David Drouard : F(aune) explorait le rapport au monstre, (H)ubris se penchait sur la figure immatérielle de la nymphe, le (S)acre aborde, au travers du végétal, la célébration de ce qui va revivre. Les trois constituent effectivement ce que j’appelle un cycle des hybridations. J’ai encore envie de creuser ce thème en abordant cette fois le mythe de Marsyas, ce musicien qui finit écorché vif par Apollon, pour n’avoir pas jouer de sa flûte retournée tout en chantant. A l’image de ce fantasme d’une ‘peau sonore’, je voudrais faire entendre la danse, sans forcément la regarder…

Propos recueillis par Isabelle Calabre

(S)acre de David Drouard, les 12, 13 janvier à 21h, le 14 janvier à 17h.

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