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« Men’s Day » de Maria Montero
La jeune chorégraphe espagnole ébranle nos certitudes face aux identités des genres.
Certaines certitudes semblent être si solides qu’elles deviennent encombrantes. Men’s Day de Maria Montero peut ouvrir des perspectives inattendues. Imaginez donc que vous seriez né.e dans un corps du sexe « opposé ». Quel serait alors votre rapport à vous-même et au monde ? Par exemple, comment ressentiriez-vous les gestes corporels avec lesquels les hommes affirment leur pouvoir au quotidien ? Ou encore : Comment verriez-vous le rituel annuel de la Journée de la femme ?
Men’s Day est bel et bien une pièce de danse qui aborde ouvertement les questions de « genre ». Ce qui se dit bien mieux en anglais : Gender pieces, le verset artistique des Gender studies, ces recherches universitaires sur la construction de l’identité sexuée sous influence sociétale. Et si on inversait les choses, pour proclamer un Jour de l’homme ?
Men’s Day n’exclut pas la femme, mais la cherche. Au bout de la nuit, s’il le faut. Ou bien au bout d’une boucle, comme on peut partir vers l’est pour arriver à l’ouest. Dans l’éclairage blafard d’une rue nocturne, deux énergumènes, masculins à outrance, se défient par coups de poings, de tête ou d’épaule. Le torse bombé, ils en tirent un malin plaisir. Et si une femme passait par là, les gars passeraient à l’acte infâme. C’est ce qu’on se dit, après. Montero se contente de suggérer, non sans préparer une bombe à retardement.
La jeune chorégraphe espagnole ne livre pas une étude universitaire, mais une pièce de danse où tout passe par le corps. Et si cette pièce est percutante, c’est qu’elle s’appuie sur une enquête dont Montero pourrait tirer, en même temps, un mémoire. D’emblée, elle nous embarque par une série de questions. Par exemple: « Pourquoi, dans une situation donnée, semble-t-on accorder plus de crédit à un homme qu’à une femme? Y a-t-il des différences entre les mouvements socialement acceptés pour un homme ou une femme ?»
Née en Espagne du Sud, Montero vit et travaille à Bruxelles. Un tel parcours de vie invite naturellement à mettre en question les identités apparemment inébranlables. Aussi Men’s Day lorgne derrière la façade de la puissance masculine. Un regard bruxellois sur la culture andalouse, en quelque sorte. Mais la face cachée qui sera révélée n’est pas celle qu’on attend. Montero creuse ici les stéréotypes masculins : Sont-ils naturels ou socialement acquis ? La réponse est sur le plateau.
Galerie photo © Jean Gros-Abadie
Montero signe une pièce bouleversante qui fait le portrait d’une culture où le jour est affublé du genre masculin et la nuit du genre féminin, où les forces dominantes imposent le jour pour mieux refouler leur attirance pour la nuit. Pendant une belle trentaine de minutes, Men’s Day refuse d’avouer sa part d’illusion et de manipulation de notre perception. Ce n’est qu’au bout d’une démonstration de force masculine que la nuit éclate en plein jour.
En sortant, le public retrouve la rue nocturne, ébranlé dans ses certitudes les plus intimes. La Journée de la Femme, c’est tous les ans. Men’s Day, c’est une fois dans la vie. D’où le succès promis à cette pièce, succès qui n’a de limites que dans la propagation d’un bouche à oreille enthousiaste, effeuillant trop ouvertement ses éclats.
Thomas Hahn
Spectacle vu le 25 octobre 2017, festival ZOA, Point Ephémère, Paris
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