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Dans les coulisses de D. Quixote
Andrés Marín, avec la complicité du metteur en scène et dramaturge Laurent Berger, confronte dans son nouveau projet D. Quixote deux socles de la culture hispanique: le Flamenco, dont il est un des plus emblématiques créateurs contemporains et le Don Quijote de Cervantes, pour en faire trembler les fondations.
« Il y a plus de détails dans cette pièce que sur le buffet de ma grand-mère » nous dit en préambule Andrés Marin, chorégraphe d’un flamenco aussi savant que rebelle. Il nous reçoit dans son studio, d’une taille modeste pour contenir Andrés et ses danseurs, la célèbre Patricia Guerrero et Abel Harana, ainsi que toute son équipe musicale, Sancho Almendral au violoncelle, Daniel Súarez aux percussions, Jorge Rubiales à la guitare électrique et la formidable chanteuse, Rosario La Tremendita. Pas de guitare flamenco. C'est tout à fait volontaire.
Au milieu de tous, Andrés Marin, est déjà une sorte de Don Quichotte avec son physique en lame de couteau et sa volonté de pourfendre, non pas les moulins, mais les conventions qui reposent sur du vent. Bien campé dans ses chaussures à crampon, le voilà qui se lance dans des zappateados de folie, dans un dialogue rythmique constant avec les musiciens. « Car les preux chevaliers d’aujourd’hui ont pour nom Zidane, Messi, Ronaldo, Neymar », affirme Andrés, « tous des numéros 10 ». Tout en travaillant sur les gestes de ces icônes footballistiques pour les amener sans les mimer dans la danse, notre nouveau Quichotte reconnaît néanmoins « que danser avec des crampons n’est pas chose aisée. »
La musique ménage une grande liberté d’expression pour chacun, et la danse « n’est pas stricte, mais très organique, très réelle, pas aussi mesurée que dans d’autres techniques. Nous venons tous du flamenco, c’est une autre dynamique de travail » remarque Andrés.
Au début, il ne voulait que des hommes dans son nouveau roman à la sauce picaresque. Et finalement, s’il a voulu qu’Abel soit dans le spectacle « car il a le sens de la performance » il n’a pu « résister au désir de Patricia Guerrero qui voulait participer à cette création, ni à celui de La Tremendita. ».
On l’aura compris, loin des Don Quichotteries d’usage, Marin en tire un mythe moderne où l’illusion s’épanche dans la réalité et le flamenco s’émancipe en beauté sur la voix sombre de La Tremendita. Son Don Quichotte est un homme en lutte mais aussi une métaphore du combat qu’il mène pour pousser son flamenco dans ses derniers retranchements. Comme lui, c’est un érudit de la tradition qui la dévoie en l’adorant. C’est aussi pourquoi on entendra de la théorbe, instrument de la Renaissance et de la guitare électrique : l’une amène le spectacle dans son contexte médieval de Cervantes, l’autre le propulse dans le futur du flamenco. Idem pour le violoncelle qui a aussi sa version électrifiée.
« Tout est original, dans D. Quixote. C’est une chorégraphie et une musique d’auteur. Rien de copié. Chaque pas, chaque geste est complexe. Comme l’œuvre de Cervantès est le premier roman de fiction, nous créons donc notre flamenco pour ce spectacle à partir d’une feuille blanche, sans les codes préétablis, à partir de ce que nous sommes chacun, individuellement. Ici, tout le monde est irremplaçable ! » affirme Andrés Marin.
Au-delà des artistes sur scène (et en l’occurrence dans le studio) son D. Quixote est une machine infernale, qui convoque des projections incroyables pour distordre la réalité, des graphs ou de la BD, des accessoires aussi divers qu’improbables que nous ne révélerons pas, si ce n’est qu’il a emprunté à Blanca Li sa rampe de surf, et qu’une vraie brebis fera son apparition.
Sa collaboration avec Laurent Berger, metteur en scène et dramaturge a été fructueuse (lire notre entretien). Il a travaillé avec Andrés sur l’épaisseur du texte qu’il a déployé en autant de pistes de réflexion, en autant de pages d’imaginaire. « Chaque thème abordé constitue une strate et comme dans Cervantes, on ne se souvient plus, à la fin, du premier personnage du roman. Cervantes était un grand humaniste, il a fouillé dans les profondeurs de l’âme. Il est important de le comprendre » explique Andrés. Tous les textes chantés par La Tremendita ont été écrits pour le spectacle par Laurent Berger. Quasiment une première dans le Canto flamenco !
En attendant, les danseurs répètent, manient de lourdes couvertures, tandis qu’une vidéo apparaît sur le mur du studio. C’est un artiste visuel, Sven Kreter, qui, grâce à ses astuces de réalisation, offre au spectateur d’entrer dans une autre dimension. L’apport d’Oria Puppo à la scénographie ne compte pas pour peu dans cette aventure. C’est un vrai travail d’équipe, qui permet à ce D. Quixote hors norme d’être suspendu comme dans un rêve , flottant dans une lumière subtile, en train de « marcher l’air du ciel ».
Pendant ce temps, Abel danse avec des baskets, innovant un nouveau flamenco non percussif. « Le caña et le polo sont les « palos » (types de chant) les plus primitifs du flamenco, et de ce fait, les plus aptes à donner une contemporanéité depuis la tradition. On ne peut pas rester ankylosé dans le passé. Celui qui s’y maintient est celui qui ne connaît pas ses racines. Le flamenco doit être d’aujourd’hui, sinon, il deviendra un folklore pour touristes. La création est vitale. Même si on se trompe. » Belle conclusion de notre Quichotte contemporain !
Agnès Izrine
D. Quixote création mondiale, Chaillot Théâtre national de la Danse, du 7 au 10 novembre 2017
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