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« Penzum » de Josef Nadj et Joëlle Léandre
La première pièce post-CCN de Josef Nadj s’inspire du poète hongrois József Attila. A voir du 13 au 15 mars au Pavillon Noir d'Aix en Provence.
Qui saurait dire si, dans un spectacle de Josef Nadj, un personnage appartient pleinement à lui-même ? Qui saurait même définir si la présence de Nadj dans Penzum vise la création d’un personnage ? Et si personnage il y a, c’est sans doute dans un ailleurs mental qu’il faut l’imaginer. Penzum, première création de Nadj depuis son départ du CCN Orléans (aujourd’hui dirigé par Maud Le Pladec), évoque le passage, inlassablement. Qui est ici homme, qui est femme ? Qui voudrait ranger tel geste ou tel mouvement de Penzum dans la case geste chorégraphique, geste musical ou geste pictural ? Ici l’un transcende l’autre, de bout en bout.
Le son du geste
Joëlle Léandre, qui a croisé au cours de sa carrière Cage, Cunningham, Monnier et autres Nadj (ce fut en 2008 pour Sho-bo-gen-zo) créé une musique, et même des instruments, qui jouent des effets de matière et d’arts plastiques, balayant au passage la moindre certitude de l’œil et de l’ouie. Si le duo porte des masques - où elle se drape d’une seconde peau argentée et lui de sculpture, en dur et d’inspiration africaine - c’est pour mieux partir vers les horizons enfouis d’une conscience chamane.
Penzum débute par l’entrée en scène d’un seul avant-bras dont on ne sait à qui il appartient. Mais on voit ce qu’il tient en main, à savoir un éventail noir qui frappe - en grande douceur - l’écran de fond (et puis, le sol) d’un rythme rapide et régulier. On peut y entendre les cigales du sud, ou bien le bruit d’un train. Ensuite, Léandre met les choses sur la table, sur cette table mystérieuse inventée par ses soins, où des bouts de métal se déplacent comme par magie et créent un son hyper-granulé, alors que la prêtresse, dissimulée par son masque argenté et un large manteau d’homme, ponctue le bruissement métallique de frappes régulières à l’archet de sa contrebasse.
Le long chemin vers l’autre (sexe)
Qui aurait imaginé, il y a quelques années encore, que Nadj puisse entrer en scène, habillé en femme? C’est pourtant ce qui se passe ici, même si on reste loin d’une poétisation queer et pleinement assumée à la Steven Cohen. Et pourtant le virage nadjien est radical. A ses débuts, Nadj ne semblait même pas pouvoir assumer une présence féminine dans ses spectacles. Aussi, Penzum marque l’accomplissement (provisoire) d’un assouplissement, au bout d’un long chemin vers l’autre (sexe).
Un jour, ira-t-il plus loin encore ? Déjà, nous voici au cœur d’une histoire de transformation, histoire de boucler une boucle. Car au bout du compte, tout mène au dessin, et donc au point de départ de l’artiste Nadj, étudiant en arts graphiques devenu chorégraphe, dessinateur et sculpteur, directeur artistique d’un festival de jazz.
Requiem pour un poète
Et il faut donc enfin arriver au point de départ de ce Penzum, le terme désignant une quantité donnée en matière de tâches à accomplir. Comme ces lettres écrites en grande quantité par József Attila, poète se consumant dans sa passion pour sa psychothérapeute. Celle-ci lui commanda des lettres, et Atilla s’exécuta, avec ardeur. C’est dans sa langue maternelle hongroise, celle qu’il partage avec le poète, que Nadj éructe certaines lignes écrites par ce jeune révolutionnaire, que le Parti Communiste avait exclu de ses rangs car le poète était trop rêveur dans l’âme. Etait-il schizophrène ? Les avis diffèrent, comme pour Nijinski. Mais on suppose généralement, qu’Attila mourut délibérément, se faisant écraser par un train.
Le son de l’éventail du début est donc un rappel de la fin du poète, et Penzum un requiem qui lui est adressé, sous forme d’une séance de poésie-action, porté par la scansion de la contrebasse. Le geste âpre, tendu et cabré, Nadj dessine des motifs issus de l’univers du poète: Un papillon, un insecte géant, un arbre, un soleil noir… Il se jette au sol tel un insecte retourné sur sa carapace, puis s’élève pour apparaître en cerf, allant vers une libération, un apaisement. Le passage est réussi, sa première œuvre post-CCN est née, dans un retour aux sources littéraires et linguistiques. Penzum est une petite forme, un nouveau départ.
Thomas Hahn
Spectacle vu à Périgueux, théâtre Le Palace, dans le cadre de la 35e édition du festival Mimos.
Au Pavillon Noir d'Aix en Provence du 13 au 15 mars 2019
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