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Ramirez/Wang, citoyens « Borderline »
La démocratie est une recherche permanente d’équilibre entre forces opposées. Les groupes de pression se neutralisent ou s’appuient l’un sur l’autre. Ca tire vers le haut ou vers le bas. Tout bouge, se décale et se recale, parfois avec violence. Une belle matière pour la danse, en somme, surtout dans une idée de « borderline » qui est le fil rouge de cette création.
On appelle « borderline » l’état d’une personne aux états émotionnels instables et aux comportements imprévisibles. Mais des sociétés entières peuvent être atteintes du même phénomène. Se produisent alors des violences et des abus de pouvoir qui suscitent l’indignation. Mais Sébastien Ramirez clame un « indignez-vous », loin des clichées d’une danse urbaine déchaînée. Avec sa partenaire, Honji Wang, il trouve des métaphores de grande finesse pour parler de la recherche de stabilité et d’équilibre. La complexité des biographies de Wang et Ramirez, chacun ayant grandi entre deux cultures (Corée/Allemagne vs France/Espagne) les élève également au-dessus des pièces contemporaines basées sur la répétition d’un geste rudimentaire, comme on en voit tant, traduisant plutôt un sentiment d’impuissance.
« Borderline » est une pièce qui se construit autour du dialogue, si nécessaire, et si souvent absent dans ce que nous appelons « démocratie ». Certains tableaux émettent des doutes par rapport à notre capacité à vivre ce concept, tel qu’il fut fondé dans la cité athénienne. Injustice sociale, irruption violente de CRS dans une salle de classe de BTS, témoignages et autres récits en voix off tissent discrètement une toile de fond, vaguement audible mais à relire après le spectacle. Les mots sont importants, mais plus encore le fait que des idées sont mises en jeu, comme par des textes de chansons. Et un équilibre subtil se construit, entre les danseurs et la sphère acoustique, entre deux hommes qui dansent une lutte comme en apesanteur, tels des circassiens épris de capoeira ou encore dans une image d’une grande poésie, entre Ramirez au sol et Wang qui s’élève dans les airs.
La belle idée est celle d’une machine à voler avec ses cordes élastiques et ses danseurs suspendus qui permet aux danseurs de voler, et les tient en même temps prisonniers. Le gréeur, celui qui tient la corde, investit tout le poids de son corps et toute sa force musculaire pour retenir, stabiliser ou propulser les protagonistes. Il est autant un complice qu’un maître-chien qui tient une laisse tendue à l’extrême. D’habitude on le cache pour préserver le mystère et l’effet « deus ex machina ». Mais ici, il est mis en scène, parce que, justement, la pièce s’articule autour de ce rapport de forces, si fondamental dans notre monde où la frontière entre paix sociale et égoïsmes ravageurs est si ténue.
La tension de la corde emplit de suspense la soirée entière, et les six interprètes sont de véritables funambules, sur le fil du rasoir entre révolte et rêve. Aussi, la transposition d‘un questionnement citoyen en images dansées est ici d’une insoutenable légèreté. Ce qui est « borderline », c’est aussi le contraste entre des robes blanches et des talons aiguilles, entre complicité et concurrence entre femmes, entre l’énergie d’une révolte et ce qu’on peut en faire, entre horizontalité et verticalité, entre liberté et captivité. Ou comment transformer nos paradoxes en beauté…
Thomas Hahn
Théâtre des Abbesses, jusqu’au 31 octobre, à 20h30
http://www.theatredelaville-paris.com
Distribution
direction artistique & chorégraphie Sébastien Ramirez en collaboration avec Honji Wang
gréeurs : Kai Gaedtke, Ralph Güthler
coordination gréeurs : Jason Oettlé
composition Jean-Philippe Barrios avec la participation de Christophe Isselee et les voix de : Chung-Won Wang & Henri Ramirez
lumière : Cyril Mulon
collaboration dramaturgie : Catherine Umbdenstock
scénographie : Paul Bauer
réalisation costumes : Anna Ramirez
interprétation
Louis Becker,
Johanna Faye,
Mustapha Saïd Lehlouh,
Sébastien Ramirez,
Honji Wang
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