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« The Great Tamer » de Dimitris Papaioannou

Un magnifique spectacle de Dimitris Papaioannou qui traverse l’histoire de l’art et de l’humanité dans une pièce qui tente de cerner notre monde et ses illusions.

Le plateau est entièrement recouvert de plaques formant un paysage aride aux couleurs d’ardoise. Un homme à l’avant-scène attend, figé de profil, comme saisi dans le cours de sa marche. Un peu raide, tout de même. Il délace ses chaussures, se dévêt et déployant un tissu s’allonge comme pour un bain de soleil. Un autre homme apparaît bientôt, qui, soulevant une des plaques qui composent le plateau, a pour effet de recouvrir le premier d’un fin tissu blanc comme un linceul. La chasse aux images peut commencer. Car, et c’est tout l’art de Dimitris Papaioannou, chacun de ses spectacles fait surgir des mondes enfouis qui sont les racines de notre culture, et partant de notre inconscient. Il faut dire que l’artiste, formé aux Beaux-Arts, est pétri de mythologie comme tout Grec qui se respecte. Mais comment faire autrement quand chaque pas, chaque regard, vous rappelle que vous êtes le berceau de notre civilisation ?

Pour revenir à The Great Tamer (le Grand dompteur), titre de ce spectacle, et à cette première image, elle contient déjà une pléïade de sens, à commencer sans doute par la question d’ensevelir ou pas, résister ou pas, déjà posée par Antigone. Toute l’humanité et ses problématiques, en somme : pouvoir, piété, pitié, culpabilité, liberté. En fait, la pièce a pour origine un fait d’actualité : l’histoire d’un jeune garçon suicidé  pour avoir été persécuté par ses camarades de classes et dont le corps a été retrouvé enfoui dans la boue. Mais ce n’est qu’un point de départ, un déclencheur pour une longue réflexion sur la vie et la mort réunies dans un kaléidoscope fascinant, une accumulation de vestiges à découvrir en fouillant le sol et sa propre mémoire.

Dans ce jeu de références sans fin qui se renvoient les unes aux autres, vous serez conviés, mesdames et messieurs à prendre place devant le grand cirque de la vie et ses créatures que « le grand dompteur » n’a plus qu’à faire apparaître ! On y rencontrera donc pêle-mêle, une Perséphone coiffée de feuilles d’acanthes, une chimère centaure à corps de femme sur des cuisses d’hommes, un Apollon du Bélvédère dont le marbre craque et révèle la chair bien vivante, une Vénus de Boticelli bien masculine mais tout aussi gracieuse que son modèle, des tiges de blés lancées comme des flèches achéennes, trois Parques, un Christ exhumé tout droit sorti d’une toile du Greco, une piéta cosmonaute, un cosmonaute à l’œil de cyclope, La Leçon d’anatomie de Rembrandt, et l’origine du monde au propre avec son globe mais aussi au figuré, portée par des sexes masculins, un homme aux semelles racines tournées vers le ciel.

On y trouve aussi un insistant clin d’œil à l’Odysée de l’Espace de Stanley Kubrick avec sa valse du Beau Danube bleu de Strauss, obsédante et en quasi apesanteur, sa traversée d’un espace-temps sidéral et ce téléscopage entre la fin et le commencement. Est-on à l’aube d’un devenir ou sur notre terre dévastée ?

Dans un jeu d’apparitions et de disparitions ménagées par des chausse-trapes, des excavations, des dissimulations, l’histoire de l’humanité est avalée, digérée, régurgitée.Laissant offerte à nos descendants la possibilité de mener d’autres fouilles, de filer d’autres métaphores, ou de reprendre la quête d’une vérité enfouie. Mais après tout, pourquoi creuser ce mystère où d’autres verront encore bien d’autres symboles et bien d’autres histoires. Mais ce qui domine dans ce spectacle d’une beauté funèbre, même si on rit quelque fois, c’est la tragédie permanente et l’effroi d’exister.  Mais The Great Tamer est aussi une version moderne des « vanités » d’autrefois, comme en témoignent le squelette qui se désagrège à la fin. De l’illusion à l’illusoire, il n’y a qu’un pas.

Agnès Izrine

Le 19 juillet, La FabricA, Festival d'Avignon 2017

 

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