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« Sisyphe heureux » de François Veyrunes : L'interview
François Veyrunes réunit dans Sisyphe heureux les trois hommes de Tendre Achille et les trois femmes de Chair Antigone. Il nous explique sa démarche.
Danser Canal Historique : Vous achevez une trilogie sur les héros de la tragédie grecque. Pourquoi le troisième volet est-il consacré à Sisyphe? Que représente-t-il pour vous?
François Veyrunes : Sisyphe, c’est la lutte pour atteindre le sommet. Et quelle que soit notre culture, notre religion ou notre philosophie, l’homme se révèle dans l’effort. Qu’on soit malade, vieux, adulte ou enfant, quand on se trouve proche d’une limite, il s’agit de la capacité à aller au-delà de ses peurs. Quel est le pas supplémentaire qu’on va pouvoir faire, non pour aller se détruire mais pour rester sur ce fil ténu qui convoque l’être dans son entier, pour se situer dans l’être et non dans la représentation? Ce défi est remis sur le métier, dans Tendre Achille comme dans Chair Antigone (lire notre critique) et maintenant Sisyphe heureux.
DCH : Camus nous dit bien que Sisyphe est peut-être heureux. Mais il n’avance pas…
François Veyrunes : Ce n’est pas tellement cette dimension de l’absurde chez Camus qui m’intéresse, mais notre propension, en tant qu’êtres humains, à pousser ce rocher. C’est une forme de rituel, jour après jour, entre le soleil levant et le soleil couchant. En certains jours on a le moral, en d’autres, non. Mais fondamentalement, chaque jour on accomplit quelque chose. Il n’y a pas de petites tâches. Et ce recommencement permanent n’est pas quelque chose qui nous enferme. Bien au contraire, il nous émancipe. On touche là aussi à quelque chose de spirituel. Tourner en rond peut aussi être compris comme un acte hélicoïdal où chaque fois qu’on fait un tour, on s’élève. Après il y a la question du libre arbitre. Achille choisit une vie brève mais intense. Et Antigone est un personnage qui va au bout de ses convictions.
DCH : Y mettez-vous aussi une métaphore de la condition du chorégraphe, et plus largement, de l’artiste?
François Veyrunes : Il est vrai que chaque création est un recommencement. Et en même temps on accumule de l’expérience. Et pourtant on repart tout nu à chaque fois. Ce qui est beau ici, par rapport à cette question, c’est que les six interprètes de Sisyphe heureux sont les trois hommes de Tendre Achille et les trois femmes de Chair Antigone. Mais nous les regardons surtout en tant qu’humains, moins en tant qu’hommes ou femmes. Ici il y a des portés où les hommes portent les femmes et d’autres où les femmes portent les hommes.
DCH : A travers les interprètes vous réunissez donc les deux premiers volets de la trilogie. Mais Sisyphe est un être solitaire. En passant de trois à six interprètes, dans l’univers de la tragédie, ne devrait-on pas aboutir à la dimension du chœur?
François Veyrunes : Chaque interprète représente Sisyphe, chaque duo est Sisyphe, chaque moment collectif est Sisyphe. On n’est pas dans une pièce de théâtre. Sisyphe se niche aussi dans les duos homme-femme qui ouvrent et terminent la pièce. Je ne veux pas écrire une danse comme une partition. Tout s’écrit ensemble. Chacun reste ce qu’il est, et en même temps tous vivent ensemble. Ca veut dire, être à l’écoute sans que cela soit au détriment de l’être-soi. C’est un enjeu sociétal: Comment faire pour ne rien lâcher de ce que nous sommes, avec toutes nos différences, et pourtant être à l’écoute de l’autre et fraterniser? Si on est trop à l’écoute on se perd soi-même. Ce n’est pas : Etre l’un ou l’autre, mais être l’un et l’autre. Etre avec soi-même et avec l’autre.
DCH : Dans Tendre Achille et Chair Antigone les interprètent étirent leurs mouvements, leurs corps et donc le temps. On a l’impression d’une grande lenteur, comme un effet de loupe. Est-ce que vous continuez à creuser ce sillon dans Sisyphe heureux?
François Veyrunes : Ce qu’on peut percevoir comme de la lenteur est une conséquence de mon travail. Ce n’est pas un but fixé au préalable et pas non plus une manière de m’opposer à un monde qui irait trop vite. Ce qui m’intéresse est de ne rater, dans la propagation du mouvement dansé, aucun grain, aucune cellule, pour garder en permanence la lecture du mouvement et le volume du corps, pour ne jamais perdre de vue l’être, et le révéler dans toutes ses dimensions. La seule solution que j’ai trouvée est d’étirer le temps. Dans Sisyphe heureux ce phénomène devient encore plus radical, avec encore plus de défis gravitaires au terme de chaque acte chorégraphique. Pour être technique, nous allons encore plus loin dans les oppositions de corps. Ca veut dire que quand le bras bouge dans une direction donnée, l’épaule, le dos, la jambe, le bassin etc. résistent au maximum.
Propos recueillis par Thomas Hahn
Tournée 2017-2018
24 mars 2017 : THV St-Barthélémy d’Anjou (49)
30 octobre 2017 : Théâtre du Parc – Andrézieux-Bouthéon (42)
21 mars 2018 : Château Rouge –Centre culturel – Annemasse (74)
Septembre 2018 : Théâtre du Vellein – Villefontaine (38)