Add new comment
Ayelen Parolin / Lisi Estaràs : « La Esclava »
Dans ce solo grotesque et métaphorique, Lisi Estaràs est empêchée de danser par une imposante structure attachée dans son dos.
On n’est jamais autant prisonnier que de soi-même, nous disent-elles. Ayelen Parolin et Lisi Estaràs ont décidé de libérer La Esclava : Le terme frappe fort, mais correspond à une situation qui empêche de se mouvoir, un peu comme une chaîne de fer qui attache un être par les pieds. Ici il s’agit de porter sa croix, une croix multiple qui tisse une véritable toile d’araignée, à porter tel un fardeau. Où il est question de la condition de la femme, autant que de fardeaux psychologiques individuels.
Esclave, peut-être. Prisonnière, sûrement. Les esclaves aussi avaient leurs danses. Certes, Estaràs arrive à se déplacer. Mais l’imposante étoile, couronne coiffée d’énormes épines, l’empêche notamment de se coucher. Quant à la danse, on sait bien qu’elle réussit à se réinventer dans n’importe quelles conditions.
Et ce solo, sur des airs de ska, yiddish ou bulgares, le prouve bien. Quand le corps ne peut s’exprimer à sa guise, il reste les mains, voire les yeux. Ceux de Lisi Estaràs tournent dans leurs orbites comme pour venger la liberté perdue des bras. Et puis, les bris et débris de danses se conjuguent pour laisser apparaître Estaràs, couronnée de son épineuse prison autoportée, comme une incarnation de la Statue de la Liberté.
Décidément, cette scénographie portable prend en termes de mobilité ce qu’elle refuse à sa porteuse. Et finalement, c’est bien la danse qui procure à notre « esclave » la force de se débarrasser physiquement de la construction en bambou. Mais sera-t-elle libre pour autant? Ses états d’angoisse continuent de la traverser et de la secouer. Fondamentalement, sa manière de se mouvoir n’a pas changé.
Esclave, elle l’est aussi des stéréotypes de la féminité. Elle s’en montre profondément atteinte dans son jeu d’actrice hyper-expressif, elle les exacerbe dans son costume de séductrice de bars de nuit. Ses rêves se perdent entre les tiges de bambou et leurs épines, autant que dans son maquillage caricatural. La route de cette esclave est encore longue, pour atteindre l’épanouissement. En cela aussi, Parolin et Estaràs visent juste. L’esclavage est un fardeau dont il est presque impossible de se débarrasser
Thomas Hahn
24 février, Avignon, Théâtre des Doms, 39e édition des Hivernales
Catégories: