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« D'oeil et d'oubli » de Nans Martin

Le jeune chorégraphe relève le défi paradoxal de convoquer pas moins de sept interprètes pour activer une idée de l'absence en action.

On n'ira pas jusqu'à parler de care (quoique certains le fassent), mais on remarque ces derniers temps sur les plateaux de danse une multiplication de gestes chorégraphiques habités par une très grande qualité d'attention à l'autre. Dans cette délicatesse, certains commentaires aiment voir une forme de retour à la belle danse qui danse. Tel n'est pas notre point de vue. Certes, l'expressivité  y emprunte les voies d'une sensualité assumée. Mais on peut y déceler aussi bien une quête de la danse en-deça de la forme, vers ce qu'elle assume du souci de la relation entre les êtres, et d'une construction active de la bienveillance, assez politique. D'où notre mention de la notion de care.

On y pensait à nouveau en observant la pièce D'oeil et d'oubli, de Nans Martin, récemment créée aux Ateliers de Paris Carolyn Carlson, et reprise dans l'édition 2017 des Hivernales d'Avignon. Fort heureusement, le jeune chorégraphe évite de s'enferrer dans le biographique, en n'indiquant que de façon générale que son propos traite de l'absence : « Il faut lire D'oeil et d'oubli comme la suite d'une histoire dont vous ignorez le commencement et ne connaissez pas non plus la fin » indique-t-il aux spectateurs sur sa feuille de salle. « Ni passée, ni à venir, c'est dans cet "entre-temps" que se déroule l'action. Celle de l'absence » poursuit-il.

Sa pièce s'en trouverait comme suspendue. Et c'est d'autant paradoxal que pas moins de sept interprètes – dans un déséquilibre un peu étrange entre cinq hommes et seulement deux femmes – travaillent à cette qualité, dont on se doute qu'elle a aussi valeur de réparation, voire de résilience. En tous les cas de reconstruction de ce qui peut l'être quand le ressenti d'un absentement prend valeur performative.

Dans une totale obscurité, l'interprétation  a capella d'une variation de La jeune fille et la mort, de Schubert, par les danseur.ses eux-mêmes, teinte l'ouverture du propos dans ce sens, bouleversante. Un autre moment chanté concluera le spectacle. La voix pour vibration mouvementée de l'espace, chorale, venue de loin, par des chanteurs non experts, soude un projet commun. Celui-ci prend un aspect très concret, à travers la patiente déconstruction, par les danseur.ses tout au long du spectacle, d'une installation plasticienne pensée avec Matthieu Stefani.

Verticale et monumentale au départ, une sculpture faite de panneaux de bois amovibles, est peu à peu ré-agencée sous la forme d'un plateau de danse  tout horizontal, suggérant de nouveaux départs.  Le geste des danseur.ses aura été de re-fonder ce possible, à travers l'accompagnement d'une extinction de la forme donnée. Cette idée est simple. Sa conduite est forte, qui dit quelque chose de fondamental sur la possible manière de se tenir debout en lien au plan du monde.

Au sens plus élargi, la chorégraphie oeuvre à une permanente condensation et expansion de l'espace, que l'imposante installation plasticienne dispute, pour bonne part, aux interprètes. Leur danse a de belles, denses, longues et retenues descentes au sol, vers la position gisante. Egalement de subtiles amorces de contacts par un simple toucher, et de profonds accueils dans la réception attentive. Les arrêts, les temps d'observations partagées, creusent la palpitation du vide, et travaillent à la caresse de circulations vibratoires. Certes magnifique, teintée de nuance spectrale, il est possible de trouver à cette qualité de geste un rien d'académisme, confit de stabilité, même si les interprètes montrent entre eux une belle diversité.

En cela la pièce touche, mais sans pouvoir foudroyer au-delà d'une esthétique connue et maîtrisée.

Gérard Mayen

Spectacle vu le 22 février 2017, au théâtre du CDC les Hivernales (Avignon).

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