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Marie Chouinard à la Biennale de Danse du Val-de-Marne
La chorégraphe québecoise ouvre la Biennale de Danse du Val-de-Marne avec son Jardin des Délices au Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine. Entretien
DCH : Qu’est-ce qui vous a poussée à créer à partir du triptyque Le Jardin des Délices de Jérôme Bosch ?
Marie Chouinard : Je connais Jerôme Bosch depuis l’adolescence, mais c’est à l’occasion du 500e anniversaire de sa mort dans sa ville natale, à Bois-le-Duc, (s’Hertogenbosch) que la Fondation Jerome Bosch 500 m’a demandé de créer une œuvre autour du Jardin des Délices. J’ai répondu oui immédiatement. Je n’y aurais pas pensé moi-même, mais ça s’est imposé comme une évidence.
DCH : Est-il impressionnant de mettre ses pas dans les pas d’une telle œuvre ?
Marie Chouinard : Oui, bien sûr. Généralement la chorégraphie est inspirée par une musique, et on la suit, ou pas. Là, c’est une œuvre picturale en trois panneaux. J’ai donc conçu une œuvre en trois actes ou tableaux. Je pouvais soit me « coller » à ce triptyque, soit m’en détacher et la prendre comme toile de fond. Mais devant un tel génie, il fallait s’incliner. Je me suis amoureusement collée à Bosch. C’est un grand homme, d’une intelligence, d’une humanité, d’une compassion extraordinaire, et qui fait preuve de beaucoup d’humour. J’ai voulu suivre son œuvre, mais à ma manière. Je n’ai pas essayé de recréer ses monstres, ou autres, je suis juste allée chercher l’être humain dans ses toiles. Il m’a facilité la tâche en me donnant trois tableaux radicalement différents les un des autres. Ils m’ont permis de voyager dans trois univers discordants mais reliés les uns aux autres. Cette création a été un bonheur.
DCH : Comment avez-vous travaillé à partir de la toile ?
Marie Chouinard : Nous l’avions magnifié par une énorme reproduction accrochée dans le studio. Pendant des mois nous avons travaillé en le regardant. Ce que je trouve fascinant, c’est que je découvre encore des personnages, des petites choses que je n’avais pas vues lors de la création. Les danseurs aussi. C’est fantastique.
DCH : Vous êtes-vous inspirée de sa « gestuelle » pour créer la vôtre ?
Marie Chouinard : Il y a des gestes, des positions de main, de tête, et, en regardant attentivement, on trouve des moments de danse, très simples, très frais. J’aime aussi beaucoup la façon dont on a traité les projections vidéo de la toile. Chorégraphiquement, je suis partie de ce que je voyais dans son tableau. Je me suis demandée quand on est dans cette position, quel pourrait être le mouvement suivant le plus proche. J’ai travaillé en cherchant à rester au plus près de ses gestes. C’est comme un plaisir mathématique dans la recherche, un plaisir logarithmique. Il y a une intelligence de construction, de déclinaison de chaque élément, mais finalement, on retombe dans le sensible, dans l’humain.
DCH : Quelle musique avez-vous choisie pour Le Jardin des Délices ?
Marie Chouinard : Comme toujours, quand je ne choisis pas une musique préexistante, je crée avec mon compositeur, Louis Dufort avec qui je travaille depuis 20 ans. Je lui dit ce que j’ai envie de faire, j’essaie de décrire les sons que j’entends. En retour, il me propose des petits morceaux de 2 ou 3 minutes que je retiens ou non. À partir de là, il comprend ce que je veux et me fait des propositions. Quand j’ai terminé ma chorégraphie, je lui envoie des vidéos sur lesquelles il écrit sa musique définitive. Et quand je la reçois, je me réajuste, je recale la chorégraphie sur la musique.
DCH : Percevez-vous une dimension sacrée ou mystique dans ce tableau ?
Marie Chouinard : Je crois que Bosch est beaucoup plus libre que ça. Je ne suis même pas sûre qu’il ait été croyant, mais en tout cas, il n’était pas bigot. Il était très perspicace et s’intéressait avant tout à la condition humaine, avec beaucoup d’amour. Le troisième volet du triptyque s’intitule « L’Enfer ». Personnellement, j’ai toujours trouvé que ce n’était pas l’enfer mais notre vie de tous les jours, le monde dans lequel nous vivons, notre quotidien. Au fond qu’est-il arrivé après qu’Eve ait croqué la pomme ? La famine, la guerre, les horreurs, les tueries, les massacres, les tortures. L’autre tableau est donc pour moi : Que serait-il arrivé si Eve n’avait pas croqué la pomme ? Dans le paradis terrestre on se serait reproduits, reproduits et on aurait continué à vivre comme ça. Certains pensent que le tableau central est un exposé orgiaque de tous les plaisirs interdits. Mais non, c’est tout ce qu’on ferait au Paradis si on y vivait encore ! Les gens on des visages tendres, reposés, ils mangent des fruits, certes, ils s’enfoncent quelque chose dans l’anus, mais tout est fait avec un sourire, un délice extraordinaire. C’est délicat. Le tableau central dans le Jardin des délices, c’est exactement ça. Il y a des gens qui volent, des sirènes… et dans le tableau de l’Enfer, il ya ce visage immense qui nous regarde. On prétend que ce serait un autoportrait, que Bosch se serait mis en plein milieu de l’Enfer à regarder la vie défiler, avec son œil de sage et son petit sourire…
Propos recueillis par Agnès Izrine
Marie Chouinard, "Jérôme Bosch - Le Jardin des Délices" les 1er et 2 mars 2017 au Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine dans le cadre de la Biennale de la Danse du Val-de-Marne
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