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Faits d’Hiver : Alessandro Bernardeschi/Mauro Paccagnella
Qu’est-ce que Happy Hour ? Une pièce ou sa matière ? Le duo joue une farce chorégraphique qui rappelle Dario Fo.
Non, assurément, autant qu’il peut être question de « matière » dans Happy Hour, on n’établira aucun rapport avec Odile Duboc et son Projet de la matière. En comparaison avec autant de fluidité et d’abstraction, Alessandro Benardeschi et Mauro Paccagnella se posent aux antipodes, sinon plus. La « matière » évoquée par le duo bruxellois - car ils parlent abondamment - n’est autre que celle qui pourrait constituer cette pièce. Mais alors, qu’est-ce qu’une pièce ?
Farceurs de haut vol, les deux larrons sont ici à la danse ce que Dario Fo et Franca Rame furent au théâtre, remettant en question tous les fondamentaux, pour mieux en rire et gagner en matière de liberté. Les voilà qui posent, comme bien d’autres avant eux, la question à savoir ce que nous cherchons (à consommer) en allant mater des artistes dans un théâtre, entre deux rendez-vous avec le réel. Italiens d’origine, ils sont aussi assez bienveillants pour livrer quelques éléments de réponse.
De la matière
Sans doute, les sketches théâtraux de Paccagnella et Bernardeschi sont proches de la réalité, quand ils relatent leurs tentatives de convaincre un programmateur du bien-fondé de leur pièce en devenir. L’incarnant à tour de rôle (Bernardeschi excelle en ce qui peut être vu comme une incarnation de Jean-Marie Hordé, le directeur du Théâtre de la Bastille), ils lui présentent la fameuse « matière » de Happy Hour : des sketches chorégraphiques, les uns plus absurdes et burlesques que les autres.
Bien sûr, le coup de la pièce qui n’en est pas une n’a rien d’une nouveauté. Mais le running-gag d’antan est ici brillamment re-/démonté au troisième degré. Happy Hour pourrait être un making of, but of what ? Ou bien un work in progress, mais le spectacle est bien fini, alors qu’il prétend aller vers. Mais vers quoi? Tout est faux, puisqu’ils sont là avec leur vrai spectacle. Happy Hour est un fake-fake, et derrière sa simplicité et la liberté de la farce se cache un savant millefeuille de niveaux d’ironie, si savant que tout est simple : Comme son titre l’indique, Happy Hour dure une heure et rend heureux.
C’est fin(i)
Paccagnella et Bernardeschi ne reculent devant aucun poncif de la déconstruction spectaculaire, pas même devant la sortie de scène pour aller chercher une bière, et autres (fausses) surprises. Leurs perruques de hippie, leurs cavalcades donquichottesques, leurs torses dénudés et transformés en caricatures, leurs conversations sur le théâtre et la vie, leurs portés bigarrés, leur confetti fuchsia, leur travail de sculpteur sur le corps de l’autre, font que l’on est constamment renvoyé aux fondamentaux : Oui, on va au spectacle pour vivre une sorte de rencontre avec des êtres hors du commun.
Leur autodérision, leur regard sur l’humain et leur propre métier confèrent à cette rencontre une richesse lumineuse. Ce n’est qu’à la fin, après l’intervention du public sur le plateau (attention au fake!) qu’ils donnent une impression de ce que le spectacle serait s’il dépassait le stade de « matériau » et de déconstruction d’avant la construction. Jusqu’à finir sur une chanson, comme seule une revue peut se permettre de le faire en se prenant au sérieux: « It’s the end... »
Thomas Hahn
Spectacle vu le 23 janvier 2017 au Théâtre de la Bastille, 19e édition de Faits d’Hiver
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