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Les chorégraphes soutenus par les Petites scènes ouvertes
Jean Magnard et Louis Barreau ont été retenus, à l'issue d'une édition 2016 de La grande scène, bien représentative des questionnements actuels dans la danse.
Le réseau des Petites scènes ouvertes vient de faire connaître les deux projets chorégraphiques qu'il soutiendra en 2017. Ce choix est issu de la dernière édition de La grande scène, accueillie cette année au Cuvier de Feydeau, CDC implanté en périphérie bordelaise. Qui n'est pas habitué de ce rassemblement annuel pouvait d'emblée remarquer un niveau d'ensemble très crédible.
La présence de nombreux professionnels en atteste : bien entendu ceux des septs structures de tout l'Hexagone participant du réseau lui-même. Cela va de Chorège à Falaise (Normandie) à un CCN (celui de Tours), en passant par Dense Danse, qui anime en profondeur la périphérie parisienne. Mais il fallait aussi compter avec les programmateurs de la grande région Aquitaine, et des observateurs importants de l'actualité chorégraphique (ONDA, Délégation à la danse du Ministère, etc).
En elle-même, La grande scène, lancée depuis cinq ans, tire à la hausse la qualité d'ensemble de la plateforme artistique qu'on y observe. Dix compagnies y sont réunies. Elles sont issues d'un premier niveau de sélection, opéré lors des divers rendez-vous régionaux des Petites scènes ouvertes, qui s'égrènent dans l'année, avant le rassemblement hexagonal de La grande scène.
Ce rassemblement annuel est aussi l'occasion d'échanges et découvertes connexes : cette année, on aura planché toute une journée sur la question « Comment le décloisonnement artistique questionne l'accompagnement de la création ». On pouvait aussi s'initier à la pratique de la méthode Feldenkrais. Et enfin découvrir le nouveau support Internet Data-Danse, dont la présentation dans ce cadre aura, pour une fois, été l'occasion d'un débat vraiment contradictoire sur les modes de réception de la danse.
Pour La grande scène, les compagnies retenues présentent leurs projets en format réduit à vingt minutes. De surcroît il s'agit le plus souvent de projets en cours de réalisation. D'un point de vue critique, cela impose la plus grande prudence au moment d'écrire. On se gardera de fixer un point de vue qui pourrait affecter la réception ultérieure de projets qui sont toujours en cours, non "aboutis" (au sens qu'en décideront les auteurs des pièces, le moment venu).
Evoquons tout de même les deux projets retenus, qui seront accompagnés en coréalisation et diffusion, ou coproduction, par tout le réseau des Petites scènes ouvertes au cours de l'année qui s'ouvre. Donald Trump n'était pas encore élu quand on put voir un fragment de Discours, de Jean Magnard. Ce souvenir s'aiguise en fonction de ce nouveau contexte géopolitique. On entend bel et bien un discours de politicien, (Nick Clegg, ex vice-premier ministre britannique), très anglo-saxon dans son genre. Ces paroles sont dites en scène. D'autres passeront aussi par des morceaux rock. C'est toute une atmosphère. S'y confrontent deux danseurs masculins. Notons au passage une hyper-représentation masculine dans tous ces projets – on ignore quel sens y attribuer. Ces deux danseurs composent d'abord un discours gestuel de base, traduisant nettement les puissances inductives, émotionnelles, physiques, que transmet le discours. Cela se développera avec de fortes modulations et amplitudes corporelles, de sorte que tout un espace du sens bourgeonne et éclot entre discours du geste et discours de la voix. Cela ne constitue peut-être pas une nouveauté ; mais sûrement une exploration engagée de manière très convaincante.
Le contraste est total avec Bolero, Bolero, Bolero, pour un performeur, première pièce de Louis Barreau, qu'on est plus libre de commenter, puisque déjà créée. C'est sa suite, cette fois avec trois performeurs, qui sera l'objet du soutien des Petites scènes. Le bolero mentionné en titre est bien celui de Ravel. On en sait la puissance référentielle, qui ne peut que capturer le mental du spectateur d'une pièce de danse qui convoque ce hit classique.
Louis Barreau se montre extrêmement savant pour développer une partition gestuelles évolutive et raffinée, au fil de la musique. Il en découle une pièce de folle élégance, parfaite sous tout rapport, miracle de netteté, de modulation et de conscience rythmique. Toutefois, on n'aura pas pu y déceler plus qu'un beau Bolero, peu propice à ébranler des perspectives. Et on crut y déceler le discours implicite porté par nombre de pièces au cours de ces deux jours. Ce discours serait celui d'une danse qui veut danser pour danser, s'en tenir à montrer de la danse à voir, puisqu'il y aurait retour à la belle danse. Ce débat est vain parce que dualiste, quantitatif et réactionnaire (danse ou pas danse, plus ou moins de mouvement, simple balancement en retour à un passé mythifié). Le comble du genre s'illustra dans l'inanité du duo Re-garde (ce titre dit tout !) de la compagnie MF. On n'a pas besoin d'un retour ; mais d'un dépassement. Le contre-exemple était apporté, à cet égard, par le projet Homo Furens de Felipe Lourenço : même bourrée de mouvements, cette pièce ne renonce jamais dans la voie captivante de la recherche.
Gérard Mayen
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