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« Meguri » de Sankai Juku au Théâtre de la Ville

Ushio Amagatsu est à la danse ce que Zaha Hadid fut à l’architecture: Une vedette à la ligne esthétique pure et reconnaissable entre toutes, déclinée à l’infini. Avec deux différences. L’univers de Hadid est courbe, celui d’Amagatsu est (devenu) rectangulaire. Mieux : Celui de Hadid était en expansion (comme il se doit pour un univers) alors que celui d’Amagatsu piétine, s’il n’est pas en train de rétrécir. Meguri ne contient pratiquement aucun élément qu’on n’ait pas déjà vu.

Un univers qui rétrécit est-il moins esthétique? Un univers en expansion est-il plus universel ? Les ondulations de Hadid sont un hommage aux années 1970, un voyage dans le temps auquel on n’est pas obligé d‘adhérer. Un spectacle de Sankai Juku est, au contraire, une façon de détourner la notion même de temps ou d’époque.

40 ans

Comme Lin Hwai-Min et son Cloud Gate Dance Theater de Taïwan, Sankai Juku fête ses quatre décennies avec une création vouée à la force et la beauté de la nature. Exubérance marine, tranquillité terrestre, sous-titre de Meguri, est un hymne à l’éternité, en sept tableaux, chiffre aussi invariable que les 8.7 cm des bandes de Buren. Il faut avant tout s’arrêter sur le tableau d’ouverture, intitulé Voix du lointain.

On n’imagine plus une pièce de Sankai Juku qui ne commencerait pas sur un solo d’Amagatsu. Et si le maître approfondit quelque part son approche du geste, de l’espace et du rapport au public, c’est dans sa présence solitaire d’une divinité arrivant de loin, mais ici nettement plus accessible qu’auparavant, plus limpide dans sa présence et d’autant plus émouvante.

 

 

Un temple sous-marin ?

Suivent par exemple des Métamorphoses au fond des mers et même une Forêt de fossiles, tableaux tramés d’évocations de crinoïdes, ces « animaux aquatiques en forme de plantes, apparus dès l’époque du paléozoïque » selon les termes d’Amagatsu. Meguri regorge de tourbillons et autres figures symbolisant l’approche cyclique du temps.

Le rectangle central et le mur de fond sont d’abord plongés dans une lumière bleutée. Au centre, un îlot de sable est habité par des crinoïdes vivants, faits de jambes et de bras humains, comme bercés par les vagues. Si le motif est banal, il est ici anobli par l’extrême maîtrise des interprètes. On y voit aussi une balance géante qui descend des cintres, telle une auto-citation introduite pour nous rappeler Umusuna, la pièce précédente de Sankai Juku.

Galerie photo © Sankai Juku

Crinoïdes

L’imposant mur s’inspire de fossiles de crinoïdes, rappelant le mal que nous avons à faire rentrer les dimensions quasi-éternelles dans notre imagination. Amagatsu crée ici une sorte de temple sous-marin (tendance Assyrien) où les corps bercent l’espace. Et il dispose d’une garde rapprochée, cercle de butokas-étoiles. Ces danseurs d’exception savent ici capter la rotation de la terre et les flux éternels des océans. Mais dans ses scénographies de plus en plus carrées, Amagatsu tourne en rond.

Au lieu de tenter de se réinventer, il écarte toute prise de risque. Ce n’est pas le maître qui va bouleverser ses propres codes. Ses rendez-vous avec le public parisien prennent des allures de pèlerinage et de rituel. Seule Pina Bausch avait créé une telle osmose. Et pourquoi changer un produit qui est à ce point attendu? Sankai Juku est plus qu’une compagnie de danse. C’est une marque, ce qui implique une quasi-interdiction de changer d’esthétique. Il dit vouloir ici tenter plus de « danse ». Plus de variété gestuelle donc, mais toute velléité de variation reste fermement contenue et donc timide.

Pina Bausch avait trouvé la réponse en s’inspirant de divers pays à travers le monde, pour renouveler sa danse-théâtre autant que possible. Mais elle était bien moins attachée à Wuppertal qu’Amagatsu ne l’est aux paysages du Japon, et c’est tout naturel. N’attendons pas de lui qu’il nous surprenne. Il éblouit ses fidèles, avec une régularité impeccable, et c’est beaucoup. Son public lui en sait gré.

 

Thomas Hahn

 

MEGURI

mise en scène, chorégraphie & conception : Ushio Amagatsu

musiques : Takashi Kako, Yas-Kaz, Yoichiro Yoshikawa

avec : Ushio Amagatsu, Semimaru, Toru Iwashita, Sho Takeuchi, Akihito Ichihara, Dai Matsuoka, Norihito Ishii, Shunsuke Momoki

Théâtre de la Ville, du 23 juin au 2 juillet

http://www.theatredelaville-paris.com/spectacle-sankaijukumeguri-965

 

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