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Jiří Kylian, « Bon qu’à ça » aux Éditions du Sonneur

Dans ce très court livre d’entretien écrit à la première personne par Jiří Kylian, on voudrait tout retenir. Chaque phrase est une invitation à réfléchir, sur la danse, l’art ou la création. Elle éveille en outre dans la mémoire du lecteur de secrètes correspondances avec tel ou tel de ses ballets. Le titre de cet opuscule fait écho à la réponse donnée par Samuel Beckett à la question : Pourquoi écrivez-vous ? De la même façon, s’étant rendu compte à 28 ans qu’il ne pourrait jamais être Noureev, le danseur Kylian a compris qu’il s’exprimerait « beaucoup mieux à travers le corps d’autrui que par le (s)ien ». Décidant alors de cesser de danser, il est « devenu chorégraphe, le plus simplement du monde ». Bon qu’à ça, lui aussi.

Tant mieux pour le public qui, grâce à ce ‘renoncement’, a pu depuis 1973 près d’une centaine de pièces créées pour sa compagnie, le Nederlands Dans Theater (NDT) ou pour d’autres troupes, comme celle de l’Opéra de Paris (Doux Mensonges, Il faut qu’une porte… ). Toutes singulières, mais pareillement marquées du sceau de cette exigence qui, depuis l’origine, est l’aiguillon du créateur. Même si il finit « toujours par éprouver une déception - plus ou moins grande -, parce que la perfection ne se réalise jamais, évidemment »…

On se permettra de n’être pas d’accord avec l’auteur lorsque, en raison de ce même perfectionnisme, il se décrit comme « très déplaisant » à l’égard de tous ceux qui participent à ses créations, qu’il s’agisse des costumiers, des éclairagistes, des musiciens ou des danseurs. Ces derniers, dans le monde entier, sont en effet unanimes à dire le plaisir qu’ils éprouvent à travailler avec Jiří Kylian, dont ils se sentent respectés en tant qu’interprètes et en tant que personnes.

Une rapide biographie et une préface écrites par Marie-Noël Rio complètent cet ouvrage, dont le but est avant tout de laisser un artiste vagabonder sur les chemins de sa création. Kylian livre ainsi, à l’usage de tous les amoureux de la danse, une sorte de vade mecum de son œuvre. Avec un fil rouge : répondre au plus juste à la question initiale posée par son intervieweuse (et traductrice) : ce que la vie signifie pour lui. A cette vaste interrogation, le chorégraphe commence par se dérober, évoquant une « zone grise entre être et non être, entre lumière et ténèbres », qui constitue selon lui le lieu de l’attente, de la tension et de la beauté. Un pays semblable, par exemple, à celui suggéré par sa pièce Return to Strange Land. Différents thèmes sont ensuite évoqués - la langue natale, la danse, le processus de création, sa muse et compagne la danseuse Sabine Kupferberg, le pouvoir des images -, que Jiří Kylian aborde avec un souci constant de simplicité dans l’expression de sa pensée. Sa rencontre dans les années quatre-vingts avec les Aborigènes d’Australie, qui « ne créent pas la danse mais la rêvent », est sans doute l’une des expériences humaines et artistiques les plus importantes de sa vie. En référence à cette immersion dans une culture fascinante, aussi vivante qu’immatérielle, le chorégraphe déclare, dans le chapitre intitulé « Pour conclure » : « Je pourrais dire que ce que la vie signifie pour moi, c’est vivre, ni plus ni moins. Comme un Aborigène. Ou une calligraphie. Un signe que fait le corps dans l’espace, qui déjà disparaît. Un signe éphémère ».

Isabelle  Calabre

Jiri Kylian, Bon qu’à ça, Les éditions du Sonneur, collection Ce que la vie signifie pour moi.

 

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