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Henri Dutilleux/Robert Swinston : « Paysages poétiques »

Le directeur du CNDC rend hommage au compositeur angevin, par un triptyque qui sera accueilli en octobre à la Philharmonie de Paris.

En janvier 2013, Robert Swinston prit ses fonctions à la direction du CNDC Angers sous le signe de la polémique. Allait-il transformer le CNDC, créée comme fief de l’innovation, en une sorte de mausolée de l’esprit Cunningham ? En juin 2016, le voilà reconduit pour trois ans, avec de grands sourires. Il n’avait pourtant rien renié de sa complicité avec Merce. Mais le successeur d’Emmanuelle Huynh à la direction du CNDC a su convaincre, en tant que chorégraphe et directeur de compagnie. Entretemps, l’intérêt pour la danse américaine connaît un regain général, lequel s’inscrit peut-être dans un retour aux recherches sur le mouvement et le lien danse-musique. Pas impossible non plus qu’on assiste à un certain effet Millepied, avec son énorme coup de projecteur sur la danse américaine à l’Opéra de Paris. Sans oublier la reconnaissance acquise par Jonah Bokaer, lui-même plus proche de Cunningham que de Millepied. Le fait est que l’estime pour la scène américaine remonte.

Swinston l’Angevin

Et Swinston, d’abord reçu à Angers comme une sorte d’Alien, prend aujourd’hui racine dans l’histoire artistique régionale, en entamant une série de créations communes avec l’Orchestre National des Pays de la Loire et son nouveau directeur, Pascal Rophé. Le premier volet est consacré à Henri Dutilleux, né à Angers en janvier 1916 et décédé en mai 2013, quelques mois seulement après l’arrivée de Swinston au CNDC.

On célèbre donc en 2016 le centenaire de Dutilleux, et la création de Paysages Poétiques est l’un des événements phares de sa commémoration. Il fallait peut-être un chorégraphe venu d’ailleurs pour s’intéresser au plus joué des compositeurs français du XXe siècle. Qui des chorégraphes français a cherché le dialogue avec la musique de Dutilleux, à part Michel Kelemenis, avec Tout un monde lointain ? Mais ce fut une commande du Ballet du Grand Théâtre de Genève, en 1997, presque un quart de siècle après que Roland Petit commanda à Dutilleux Le Loup.

Après vingt ans de silence chorégraphique sur Dutilleux, l’alliance Rophé-Swinston fait donc sensation, d’autant plus que les compositions choisies ici, très imagées et flirtant avec la narration, sont aux antipodes des habitudes du maître de Swinston. A travers les trois partitions emblématiques suggérées par Pascal Rophé, le directeur actuel du CNDC semble par ailleurs retracer son propre parcours, à partir de la galaxie mercienne.

Métaboles

La première pièce est un retour aux sources chorégraphiques : Vous reprendrez bien une goutte de Balanchine, M. Cunningham ? Par exemple, sous forme de quelques portés, ou en introduisant dans cet univers des éléments de narration, en écho à la partition de Dutilleux ?

Le titre de l’œuvre, créée en 1965, renvoie aux transformations. En saisissant les Métaboles à leur racine partagée, l’Orchestre des Pays de Loire, sous la baguette de Pascal Rophé, livre une interprétation chaleureuse, toute en douceur et harmonie, qui offre déjà une sorte de voyage à travers des paysages bucoliques. Les différentes époques de l’histoire de la danse peuvent donc s’enlacer sans se heurter. Swinston nous embarque dans un monde aquatique, où les danseurs semblent nager dans des reflets de soleil (lumières : Harrys Picot), créant des images minérales et végétales.

Mystère de l’instant

Un précipité plus tard, la danse rompt avec la verticalité cunninghamienne. Sous des images de ciel estival, l’inspiration des paysages de la Loire devient palpable. Swinston amplifie le rapport au sol et accentue les variations de vitesse, parfois au cours d’une seule figure. On retient particulièrement ce carrousel, original et remarquable, où s’introduisent ruptures rythmiques et asymétries très étudiées, cachant l’exploit sous une très lucide réflexion sur la forme.

Les images vidéo de Patrik André donnent à ce Mystère des accents urbains, paysage nocturne de lumières électriques, derrière lequel la vision de l’orchestre s’efface. Dans ces ambiances changeantes se révèlent un intense travail sur l’intention de mouvement et un passage du formalisme à des relations authentiques à soi et à l’autre. Mais l’esprit de Cunningham garde une présence, discrète mais agréable. Grâce à la danse, les dix mouvements (dix instants?) se vivent tel un seul, l’orchestre jouant en continu.

Galerie photo © A. Hie

L’Arbre des songes

La troisième chorégraphie accomplit le chemin de Swinston vers la diversité. Multiplicité des langages, vocabulaires personnalisés, liberté totale dans les enchaînements. Chaque danseur s’épanouit dans un style personnel, mais tous sont vêtus de couleurs forestières, comme pour nous rappeler qu’aucun écosystème ne connaît une telle diversité des espèces que la forêt.

Face au Concerto pour violon de Dutilleux, les différentes époques de l’histoire de la danse coexistent avec bonheur. Eléments de danse baroque, motifs de ballet, la révolution Nijinski, le contemporain. Avec, pour trame de fond, l’approche cunninghamienne du plateau, de l’équilibre, du mouvement... Mais le rapport au sol se fait ici aussi changeant et varié que les tempi.

Avec Métaboles, on a pu se questionner sur la nécessité d’ajouter une danse à cette œuvre. Dans L’Arbre des songes, le sens de l’interrogation s’inverse: Cette danse a-t-elle vraiment besoin de musique ? Par rapport à son maître Merce, Swinston change donc d’univers musical, mais pas de philosophie.

La danse reste libre, trouvant dans la partition de Dutilleux un miroir, et surtout pas une main autoritaire. Ici la musique contemple la danse, qui devient paysage. La main dans la main, musique et danse posent la question du lien avec la nature : L’art doit-il se donner des airs militants ou bien s’inspirer de la nature pour la magnifier ?

Galerie photo © Charlotte Audureau

A la Philharmonie : Un nouveau défi

Sous la direction de Pascal Rophé, l’orchestre s’épanouit dans les partitions comme si le fait que Dutilleux naquit à Angers scellait une fusion naturelle. L’OPNL vient par ailleurs d’enregistrer un album de cinq ouvres rares du compositeur, entre autres Le Loup, sa seule composition pour le ballet. Et c’est bien une ballerine qui figure sur la pochette du CD.

Désormais, le défi est parisien : A la Philharmonie de la Cité de la Musique (ce sera dans la grande salle!), la scénographie ne pourra pas être la même que dans la salle frontale du T900 d’Angers, où les très poétiques projections (belles réalisations Patrik André) dissimulent les musiciens, sur la plupart de la représentation. Aussi, Swinston et Harrys Picot qui signe la scénographie et les lumières, devront redoubler d’ingéniosité. Avec Paysages poétiques, Swinston et la compagnie qu’il a composée pour le CNDC livrent, plus que jamais, une solution d’ouverture pour l’épineuse question concernant le devenir de l’héritage des grands maîtres: Créer librement, à partir d’une connaissance intime du style et de l’œuvre, pour mettre l’écriture historique à l’épreuve des sensibilités contemporaines.

La reprise de Paysages poétiques à la Philharmonie de Paris sera le point d’orgue d’un Week End Danses du 21 au 24 octobre 2016, avec Puz/zle de Sidi Larbi Cherkaoui et un Hommage à Nijinksi, avec trois reconstructions par Dominique Brun pour un doublé de Débussy (Jeux et Prélude à l’après-midi d’un faune) ainsi que le Stravinksi qui est de rigueur : Le Sacre du printemps.

Thomas Hahn

Paysages poétiques
Chorégraphie sur la musique d'Henri Dutilleux Création : le 10 juin 2016, Le Quai, Angers

Reprise : Le 24 octobre 2016, Philharmonie de Paris
Direction artistique et chorégraphie : Robert Swinston Direction musicale : Pascal Rophé - Orchestre national des Pays de la Loire Interprétation : Marion Baudinaud, Stéphane Bourgeois, Anna Chirescu, Nicolas Diguet , Gianni Joseph, Haruka Miyamoto, Adrien Mornet, Flora Rogeboz, Claire Seigle-Goujon, Lucas Viallefond

Week-end Danses à partir du 21 octobre
Philharmonie de Paris : week-end danses

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