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« La Belle et la Bête » : Interview de Thierry Malandain
La Belle et la Bête par le Malandain Ballet Biarritz sera créé en Première française officielle du 16 au 18 septembre 2016 à la Biennale de la Danse de Lyon. Thierry Malandain nous explique ses choix, son approche du conte et sa méthode de travail.
Danser Canal Historique : Après Cendrillon, vous créez La Belle et la Bête. Seriez-vous en train de devenir un spécialiste du conte populaire ?
Thierry Malandain : La Belle et la Bête est une commande de Laurent Brunner qui dirige Château de Versailles Spectacles et assure la programmation à l’Opéra Royal. Il m’avait déjà commandé Cendrillon parce qu’il attache le répertoire de l’Opéra Royal aux œuvres du XVIIe et du XVIIIe siècle. J’avoue que par moi-même, je n’aurais pas eu l’idée de me pencher sur les contes de fées.
DCH : Pourtant, vous avez créé, en 1997, votre Casse-Noisette et la même année, le Ministère de la Culture vous a proposé la direction d’un futur CCN à Biarritz. Le conte n’est donc pas totalement étranger à votre univers et à votre popularité en tant que chorégraphe.
Thierry Malandain : Mon problème était ici que le conte de La Belle et la Bête présente beaucoup de parallèles avec Cendrillon. En plus, dans l’un comme dans l’autre, on a affaire à une héroïne et ses sœurs. Pour échapper aux parallèles, je me suis intéressé à la version de Jean Cocteau. Quand Cocteau tourne son film, il écrit une sorte de journal de bord où il met en avant l’artiste et sa condition, d’autant plus qu’à ce moment, juste après la guerre, il connaissait lui-même beaucoup de difficultés matérielles et avait du mal à mener son projet à bout. Je m’en suis inspiré pour introduire l’artiste qui doit faire aboutir son œuvre, ce qui m’a permis de ne pas répéter mon approche purement narrative de Cendrillon.
DCH : Dans votre lecture du conte, la trinité de l’artiste accompagné de son corps et de son âme se reflète dans une autre, celle du père, de la Belle et de la Bête. Et alors que Belle va découvrir son corps, Bête nous dévoilera son âme.
Thierry Malandain : Mon personnage de l’artiste est un chorégraphe aux prises avec son inspiration et ses capacités réelles. L’inspiration est incarnée par le personnage de l’âme, et la réalité par le corps. On est donc dans le combat perpétuel entre ce qu’on rêve de faire et les possibilités dont on dispose, qu’il s’agisse des limites du talent artistique ou des capacités physiques. Dans ma chorégraphie, le rêve de l’artiste est d’accéder à une beauté inouïe et son désir rejoint celui de Bête, qui rêve de recouvrir sa beauté initiale.
DCH : Vous évoquez les conditions matérielles de Cocteau au moment du tournage de La Belle et la Bête. On peut aussi songer à la situation matérielle du CCN que vous dirigez. Je pense à la sobriété des décors, avec une seule table et puis, rien que des rideaux. Voilà qui rappelle votre Roméo et Juliette, avec les caisses de transport érigées en scénographie.
Thierry Malandain : Nous travaillons dans cette économie de moyens pour deux raisons. Premièrement, le budget du CCN est en effet modeste. Ensuite, nous tournons beaucoup et devons donc à la fois circonscrire les frais de transport et assurer un montage facile des décors. Ceci dit, le décor de La Belle et la Bête n’est pas aussi simple au montage que cela peut paraître. Mais au moins, les frais de transport ne sont pas trop lourds.
DCH : Par rapport à Cendrillon, vous ne quittez pas seulement la narration pure, mais vous changez aussi de registre. Il y a ici peu de place pour l’humour et le burlesque, même si vous arrivez à en conquérir un peu.
Thierry Malandain : Tout à fait. Par ailleurs, ma prochaine création, ce sera Noé, se fera dans un registre entièrement dramatique. Il n’y aura pas d’humour du tout.
DCH : Comment avez-vous abordé la création de La Belle et la Bête ?
Thierry Malandain : La première difficulté était qu’il n’y avait pas de partition. Nous avions besoin d’une musique dramatique pour orchestre symphonique. Chez Tchaïkovski j’ai trouvé les accents qu’il nous fallait, même si je reconnais que le choix n’est pas très original. L’autre raison pour laquelle j’ai préféré Tchaïkovski à d’autres est qu’il était très attaché à la France. C’est seulement après coup que j’ai réalisé qu’il existe une partition pour le ballet, tirée de l’opéra Zémire et Azor du compositeur André Grétry, un opéra créé à Fontainebleau en 1771, dont on a finalement tiré un ballet.
DCH : Avez-vous une méthode de travail que vous appliquez pour chacune de vos créations ?
Thierry Malandain : Une fois le choix musical fait, j’essaye d’avoir, à travers la musique, une vision globale de la pièce et de trouver une idée pour le décor. Après, je réécoute la musique en la rêvant dans ce décor. Si je me projette dans l’univers musical sans avoir une vision du décor, mon imagination part dans tous les sens et je n’avance pas. Notre décorateur est Jorge Gallardo et il est retourné vivre dans son Chili natal. C’est pourquoi il me faut dessiner les grandes lignes du décor avant de faire venir Jorge à Biarritz. Ensuite nous concrétisons les idées ensemble.
DCH : Une fois la musique et les décors définis, comment abordez-vous la recherche chorégraphique avec les danseurs ?
Thierry Malandain : Chaque matin en période de création, j’écoute chez moi la musique sur laquelle nous allons travailler ce jour-là. Pendant cette écoute je développe des idées chorégraphiques sur lesquelles nous allons ensuite travailler au studio. Pendant le travail avec les danseurs, je ne prends jamais de notes. J’ai fait l’expérience que si je prends des notes, je finis par remettre en question ce que nous avons chorégraphié, et je perds du temps.
DCH : Comment distribuez-vous les rôles ?
Thierry Malandain : Avant tout, en fonction des personnalités des interprètes. Ensuite, j’essaye de mettre en avant petit à petit de jeunes danseurs à l’intérieur de la compagnie et donc de faire évoluer les nouvelles générations. Dans La Belle et la Bête, Mickaël Conte s’est imposé pour le rôle de Bête parce qu’il a cette animalité en lui.
DCH : Le choix de Claire Lonchampt pour le rôle de Belle est excellent, mais peut aussi surprendre, puisqu’on attend plutôt une fille menue et fragile. Ici l’affrontement entre Bête et Belle se joue pratiquement à égalité physique et on pourrait y lire un regard sur la position de la femme occidentale aujourd’hui.
Thierry Malandain : En effet, j’aurais pu donner le rôle à Miyuki Kanei, qui est Cendrillon, et elle aurait été formidable. Mais je voulais développer une vision différente du personnage, et donner une chance à quelqu’un d’autre. Dans une compagnie permanente, c’est également important.
Propos recueillis par Thomas Hahn
http://www.biennaledeladanse.com/spectacles/la-belle-et-la-bete.html