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"La Belle au Bois dormant" d'Alexei Ratmansky par l'ABT
Alexei Ratmansky présente une Belle au Bois dormant à l’ancienne qui a de quoi surprendre. Cette version, qui regarde volontairement dans le rétroviseur, vise à décaper le ballet de ses évolutions ultérieures et reprend la chorégraphie à son origine, soit 1890, pour retrouver « le vrai Petipa ».
Pour mener à bien cette mission, dont on ne sait trop s’il faut la qualifier d’audacieuse ou d’impossible, Alexei Ratmansky s’est appuyé sur des clichés, croquis, films, descriptions de la presse « d’époque » et surtout sur la notation Stepanov (qu’il a apprise) dans laquelle 24 ballets ont été transcrits vers 1903 à la suite du départ de Marius Petipa des Théâtres Impériaux.
Dans le même ordre d’idée « historique » les décors et les costumes sont recréés d’après Léon Bakst, qui signa la production des Ballets russes de 1921. Ils l’avaient déjà à l’époque, reconstituée d’après cette notation sortie de Russie après la Révolution par Nicolas Grigoriévitch Sergueïev (qui sera plus ou moins à l’origine de toutes les « Belles » remontées ici ou là) et qui représente un livret de « 221 pages écrites serré ».
Une autre version à partir de cette notation avait déjà été remontée pour le Théâtre Mariinski en 1999 par Sergueï Vikhariev.
Cette Belle au Bois dormant a donc un « cachet » très particulier. Les décors ont une profondeur de champ remarquable et s’inspirent des jardins à la Française, des colonnades de Versailles. Les costumes, très réussis, jouent la longueur, avec des tutus courts sous le genou, et évitent les collanst trop… collants pour les hommes, allant même jusqu’à ajouter un « caleçon » boule à l’Oiseau bleu.
Les époques XVIIe et XVIIIe sont respectées à la lettre. Tout comme la pantomime, remarquablement bien jouée (mention spéciale à la Carabosse de Marcelo Gomez), et très développée, qui permet de suivre la narration au plus près. Tout ça a un charme assez désuet, parfois à la limite du passéiste.
Au niveau de la technique, le bas de jambe est privilégié. Il le faut bien puisqu’il n’est plus question de monter les jambes à 180°, ni même à 90°. Les arabesques se font les genoux un peu pliés, les tours sont pris bas, à mi-tibia plutôt qu’au genou, les déboulés se font sur demi-pointes et les « poissons » sont pris sur les hanches… Par contre, on revoit des pas assez oubliés : des ballonés, des ballottés, des sauts de basque en tournant, des sauts de chat, des coupés sautés, des petits ronds de jambes, des combinaisons de pas de bourrée à se damner, etc. Le buste est privilégié, les ports de bras sont très expressifs, les épaulements très précis.
Tout ceci permet à la musique de retrouver des tempi beaucoup plus rapides. À ce titre, l’orchestre de l’Opéra sous la direction d’Ormsby Wilkins est étincelant. C’est un vrai plaisir d’entendre la partition de Tchaïkovski dans toutes ses nuances et son dynamisme.
On retrouve, dans cette version, des traits de Petipa qui évoquent son futur Lac des cygnes (dans les lignes du Corps de ballet), mais aussi sa version de Giselle, notamment dans une brève scène qui évoque celle de la « folie » au premier acte, et surtout dans l’acte de la « vision ».
"La Belle au Bois dormant" d'Alexei Ratmansky © Ula Blocksage/ABT
Tout ceci pourrait être brillant, pourquoi pas ? Mais, par moment, on regrette tout de même que la technique soit un peu laissée de côté. Aurore, incarnée par Cassandra Trenary a un charme fou, mais il est un peu dommage que les équilibres soient si brefs, les tours un peu justes. Si le Corps de ballet de l’American Ballet excelle dans les accélérations, le travail du bas de jambe et des pieds, n’est pas suffisant pour donner toute sa virtuosité à la chorégraphie de Ratmansky. La seule variation qui soit littéralement époustouflante est celle de Désiré au à l’Acte III qui demande non seulement de la rapidité et une technique de batterie impeccable, mais aussi un mental d’acier pour ne pas s’emmêler les pieds dans toutes les subtilités de ces sauts enchaînés. Du coup, James Whiteside, qui s’en est tiré avec brio, était néanmoins très tendu dans son expression.
D’une certaine façon, cette Belle au Bois dormant est une version anti-Noureev, lui qui avait réduit la pantomime a quia pour privilégier une danse pure, hyper technique et très actuelle, et qui avait, développé au maximum le rôle masculin au détriment de rôles secondaires comme ceux des personnages des contes, d’une certaine légèreté, et à celui, parfois de la partition.
Mais la question, qui reste entière, est celle de l’original. Doit-on remonter les ballets au plus proche de leur création ? Le faut-il ? La danse classique a toujours évolué en fonction des corps et des possibilités des danseuses.rs, de l’époque, des planchers ou des chaussons. Le répertoire tel qu’on le connaît et qu’on le pratique ne datant en réalité que du milieu du XXe siècle. Peut-on vraiment revenir en arrière ? Danser comme il y a cent ans ? Que signifie une chorégraphie « d’époque » ? Un ballet doit-il devenir une pièce de musée ? Autant d’interrogations qui nous laissent un peu dubitatifs…
Agnès Izrine
Le 2 septembre, Opéra Bastille. Jusqu’au 10 septembre 2016.
En savoir plus : La variation de l’acte III de Désiré en 11 versions
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