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« A mon père... » de Radhouane el Meddeb

Après Tunis, 14 janvier 2011, Radhouane El Meddeb crée de nouveau un solo sans faire appel à un co-chorégraphe (1). De nouveau, il fait pivoter sa tête, avec la même violence.... Ce geste répétitif, qui peut conduire au vertige, condense regrets, désarroi, douleurs...

Ainsi commence A mon père, une dernière danse et un premier baiser. El Meddeb se tient de dos, et cette orientation sera presque la seule, du début à la fin.
Certains spectateurs s’en agacent. Mais la capacité à tenir un propos de bout en bout n’a rien d’une obstination inutile. Elle permet de creuser une idée, un motif jusqu’au bout. C’est ce qui se passe ici.

Le dos d’El Meddeb est nu. Il remplace le visage, car ses plis, ses articulations, ses contractions et étirements sont aussi riches et détaillés que toute mimique faciale. Les épaules, les bras, les omoplates, les poignets et les mains forment des sculptures, des paysages, des signes. On n’a pas vu de composition dorsale aussi subtile et évocatrice depuis que Raimund Hoghe nous dévoila les siennes.

Sur le sol noir, la scénographe Annie Tolleter a posé une peau de bête blanche prenant la forme d’un pays côtier aux frontières coloniales, tracées dans le désert. Comme enraciné sur ce bout de terre, un jeune scrute l’horizon, le ciel, les étoiles... Il peut regarder vers le passé ou vers l’avenir, se tendre et se cabrer, transformer son corps en arc ou galoper tel un cheval, rêver de puissance ou s’étrangler. Et lever le poing, les bras comme pour se projeter dans la révolution de 2011.

Tunis, 15 janvier 2011 exprimait  le regret de se trouver à Paris alors que les Tunisiens prenaient la rue pour chasser leur dictateur. A mon père... reprend ce motif, mais s’adresse avant tout au père, décédé avant le « Printemps arabe », de façon soudaine. El Meddeb, qui n’a pas pu lui dire au revoir, lui adresse ce solo comme une dernière danse et un premier baiser, ou l’inverse.

L’intense clarté des images ne se dément jamais, comme s’il mettait en mouvements un poème de Mahmoud Darwish. Quelques fragments des Variations Goldberg traversent l’espace, légers comme des cumulus. A l’œuvre, les doigts de Glenn Gould. C’est l’improvisation de Steve Paxton sur le fameux enregistrement qui inspira à El Meddeb ce baiser chorégraphique, comme on peut rêver de s’envoler sur un tapis sonore, pour parler aux défunts. Et si le père pouvait voir son fils ainsi, il se rendrait compte de la maturité acquise de Radhouane chorégraphe qui affirme de plus en plus une  écriture alliant épure, force, sincérité et sensibilité, plasticité et métaphore.
 

Thomas Hahn

Création au festival Montpellier Danse, le 1er juillet 2016

Le 8 mars à La Briqueterie

Strasbourg, les 14 et 15 mars à 20h30 à  POLE-SUD, CDC (en coréalisation avec le Maillon)

Conception, chorégraphie, interprétation :  Radhouane El Meddeb
collaborateur artistique : Moustapha Ziane
plasticien : Malek Gnaoui
scénographie : Annie Tolleter
réalisation sonore : Olivier Renouf,
extraits des Variations Goldberg de Johann Sebastian Bach, interprétées par Glenn Gould.
lumières : Xavier Lazarini
costumes : Cidalia Da Costa

(1) En 2012, pour son solo Sous leurs pieds, le paradis, il fait appel à Thomas Lebrun qui co-signe le spectacle.
 

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