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Retour sur le Focus Corée de Chaillot

Le regard sur la Corée du Sud comme pays bicéphale, partout à la recherche d’une balance entre « tradition » et « modernité » s’est imposé à nous au cours de l’Année France-Corée, dont la partie se déroulant en France va se terminer en juillet, avec un dernier focus autour d’Ahn Eun-me dans le cadre de Paris Quartier d’Eté.

La plupart des spectacles invités au cours de l’Année France-Corée ont en effet thématisé le tricotage permanent entre le « Matin Calme » et le « palli palli » de l’impitoyable précipitation urbaine. La création contemporaine coréenne semble être parfaitement en phase avec le courant européen d’une danse contemporaine vivifiée à la source des danses sociales et folkloriques., Aesoon Ahn.

Côté coréen, on a même pu constater une certaine surenchère, comme si la création contemporaine passait obligatoirement par les traditions populaires ou de la cour. Du Focus Corée à Chaillot - Théâtre national de la Danse aux Rencontres Chorégraphiques, presque tous les grands spectacles qu’on a pu voir vont dans ce sens.
 

AlreadyNotYet et Shiganè Naï

AlreadyNotYet d’Aesoon Ahn et de la KNCDC, la compagnie nationale coréenne de danse contemporaine, a fusionné des motifs de la culture coréenne avec une inventivité impressionnante en matière de vocabulaire chorégraphique et une liberté de ton, parfaitement caractéristiques de la danse contemporaine. AlreadyNotYet parle du passage dans les limbes, sur un rythme et une intensité dramatique en phase avec la vie contemporaine.
 

La rencontre Corée-Europe la plus étonnante a sans doute été celle de José Montalvo avec l’autre compagnie nationale, dévolue à la danse traditionnelle. La création Shiganè Naï est traversée d’images vidéo d’une Corée éternelle et bucolique, vision qui apporte un apaisement bienfaisant.  On connaît l’usage souvent démesuré de la vidéo chez Montalvo, et l’écran est ici toujours aussi grand, mais l’usage se fait plus modéré.

Mention spéciale pour les très beaux dédoublements entre phrases chorégraphiques traditionnelle en tenue d’époque, projetées en ralenti extrême, et leur interprétation sur le plateau par les mêmes danseurs, en tenue sobre et contemporaine. L’effet est saisissant. Le regard de la caméra, la qualité de l’image et le ralenti confèrent aux codes de la tradition une présence dans le présent qui les dépouille de tout folklore.

Dans une autre superposition, on voit derrière une jeune femme en maillot de bain, apparemment sans attache au passé, son alter égo en manteau pré-marital, habit aujourd’hui relégué à un rôle muséal. Il s’agit de son futur mari, dépositaire d’un regard immémorial sur ce que signifie être Coréen. Image paisible, contrastée et harmonieuse en même temps.

 

Curieusement, dans Shiganè Naï, les époques apparemment antinomiques coexistent de façon nettement plus harmonieuse que les trois tableaux du spectacle. Le premier, L’âge du temps (Shiganè Naï, justement), où l’esprit très vif et syncopé de Montalvo accélère un vocabulaire traditionnel, est suivi d’un apaisement sur la forme qui parle - joli paradoxe - de bouleversements, de problèmes sociaux, de pauvreté et de migration.

Ces « Souvenirs de voyage à travers le monde » reprennent des vues aériennes réalisées par Yann Arthus-Bertrand pour son film Human. Un enfant dans une décheterie, par exemple. Sur scène, une diagonale statique de personnes hautes en couleurs, portant des baluchons en plastique. Mais leur poésie, leur dignité, leur beauté ne font aucun doute.

Pendant un bon moment, on croyait voir là le meilleur Montalvo depuis longtemps. Si seulement il n’avait pas eu l’idée (ou le contraire) de solliciter le plus « tarte à la crème » des tubes mondiaux : Le Boléro de Ravel. Ajoutons une chorégraphie aussi poignante qu’un flashmob, et on comprend pourquoi le spectacle n’a pas convaincu la critique coréenne, laquelle n’a peut-être même pas perçu la finesse de l’assemblage Asie-Europe.

Le dernier chorégraphe ayant su donner une profondeur psychologique et culturelle au Boléro était Abou Lagraa dans Nya. Un autre, quelques années auparavant, était Sung-Soo Ahn, professeur d’université et chorégraphe de sa compagnie Pick-Up Group. Sa vision du Boléro et du Sacre furent des recherches chorégraphiques à l’opposé des costumes et danses traditionnels.

Sung-Soo Ahn, Pansun Kim, Insoo Lee

Pour l’Année France-Corée, Ahn a créé Immixture, une fusion tradition-modernité de plus. Ce n’est pas rien que de savoir réunir ce qui fait la beauté des deux. Précision et fluidité du geste forment un noyau commun qui peut se décliner en costume ancien ou contemporain. Mais Immixture devait d’abord inclure beaucoup plus d’éléments  chorégraphiques occidentaux et a finalement emprunté les chemins de la dialectique Corée d’hier-Corée d’aujourd’hui. Ce qui ne nuit en rien à la qualité de la pièce, qui commence par un sublime solo en tenue traditionnelle et varie subtilement le rapport traditionnel-contemporain, grâce à une qualité de mouvement qui impressionne sans doute plus chez nous qu’en Corée.

Pourquoi ce revirement ? La volte-face d’Immixture est assez symbolique d’un rapport de forces où l‘Europe a des longueurs d’avance en termes de diffusion des spectacles. En Corée du Sud, la danse contemporaine n’est pas encore entrée dans les mœurs, les possibilités de diffusion sont restreintes. On se bat donc pour une place en Europe, où les rapports entre les deux facettes de la culture coréenne intriguent d’autant plus que nos propres cultures traditionnelles sont devenues des phénomènes régionaux et minoritaires.

 

Mais la fixation sur le rapport tradition-modernité nous amène à oublier que tous les chorégraphes contemporains de Corée ne convoquent pas dans leurs créations les arts traditionnels. A Chaillot, Pansun Kim a créé OWN MHz, un faux solo car en vérité un dialogue avec un instrument de musique électronique, objet plastique et second corps matériel occupant le centre du plateau.

Kim, danseur permanent dans la compagnie d’Emanuel Gat, crée avec le corps dur, statique et suspendu, qui émet des sons dès qu’on s’approche de lui, des rapports de complicité ou de pouvoir, d’attirance ou de fureur. Il est ici question de corps et d’espace, de réalité et de phantasmes, d’autant plus que la vidéo place Kim dans son propre lieu de vie. L’image animée en fond de scène n’est autre que la vue depuis les fenêtres de son appartement parisien. Et même si tous ces rapports restent à creuser, OWN MHz montre que le passage par les danses traditionnelles n’est pas obligé.

Dans le même programme Chaillot présenta Modern Feeling d’Insoo Lee, un duo théâtral sur la relation entre deux hommes, dans un décor sans la moindre allusion aux royaumes d’antan. Et pourtant, Modern Feeling ne crée aucune sensation de modernité. Au contraire, leur théâtre de danse est piégé entre théâtralité burlesque et envolées chorégraphiques en unisson.

Reste à découvrir Let me change your name d’Ahn Eun-mi dans Paris Quartier d’Eté. Cette pièce date de 2006 et représente une toute autre facette de son travail que la trilogie Dancing Grandmothers etc., dernièrement programmée par le Festival d’Automne. Une pièce résolument occidentale et contemporaine dans son esprit, dont une re-création en résumé fait partie du programme Welcome de Josette Baïz et sa compagnie Grenade, actuellement en tournée.

Thomas Hahn
 

 

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