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Montpellier Danse 2016 : Engagements chorégraphiques

Jean-Paul Montanari  est un Méditerranéen convaincu qui a toujours su prendre la démesure paradoxale du grand bleu qui sépare autant qu’il rapproche.  Mais pour cette trente-sixième édition, il met les bouchées doubles. Montpellier Danse 2016 invite le public à un véritable tour du Bassin. Notre mer à trois rives donne une identité forte à cette édition, complétée avant tout par une puissante extension iranienne. Espagne, France, Grèce, Israël, Tunisie, Algérie, Maroc : Le pourtour est complet.


Ceci dit, Montpellier Danse n’est pas un festival touristique. Les questionnements qui sous-tendent cette édition concernent les évolutions sociétales, les violences, les désirs de liberté ou encore la grande crise de sens dans un monde de plus en plus en proie à l’irrationnel. Les créations de Lia Rodrigues, de Danya Hammoud, de Robyn Orlin, de Salia Sanou, de Dimitris Papaioannou, de Nabil Hemaïza ou encore de Taoufiq Izzediou sont les répliques de ces séismes.

Mais une fois qu’on a relevé à quel point tant d’entre eux, résidant dans un ou plusieurs pays riverains de Mare Nostrum - ou y étant accueillis très régulièrement - se préoccupent de la crise des migrants, des viols, d’écologie et de justice sociale, force est de constater que c’est le champ de l’intime qui croise toutes ces inquiétudes et lie ces œuvres à d’autres, qui se concentrent sur la force de la danse comme langage formel et esthétique.
 

Déborder vs échapper (à soi)

« L’être dans cette société est souvent à la limite d’un état de folie, dans un va-et-vient permanent entre « se contenir » et « déborder » (être hors de soi) », dit Danya Hammoud, et elle l’a dit bien avant les tueries d’Orlando, de Magnanville et de Birstall, mais après celles commises par Anders Breivik et tant d’autres. Dans Il y a longtemps que je n’ai pas été aussi calme, elle présente une recherche sur l’état « de folie, en devenir, jamais tout à fait accompli ». Mais de plus en plus menaçant. Ce duo fait suite à Mes mains sont plus âgées que moi, dans laquelle Hammoud enquête sur l’état qui précède l’acte de tuer.

 

Troublant contraste avec la démarche de Nacera Belaza qui parle tant d’« échapper à soi », de dépassement, d’abandon, de lâcher-prise ou de transcendance dans le sens d’ouverture, de découverte et de paix intérieure. Elle va ici créer Sur le fil, un trio féminin, pour encore creuser une recherche sur l’intime, menée depuis bientôt une dizaine d’années.
 

Des solos en présence d’une autre moitié de soi

Radhouane El Meddeb ne livre pas seulement des pièces de danse, mais des recherches sur des sensations intimes. Dans A mon père, une dernière danse et un premier baiser se mélangent l’envie de parler, de se raconter à un père parti « sans annonce, seul, un matin » et les impressions de Steve Paxton improvisant sur les Variations Goldberg. Un solo interprété par El Meddeb en personne, qui renoue ainsi avec ses débuts dans la danse.
 

Et puis, on pourra découvrir un(e) jeun(e) Iranien(ne) qui a troublé tout le monde lors de la présentation à la presse de l’édition 2016. Homme ou femme ? Elle/lui-même refuse de choisir. « Depuis que je vis en France, je suis troublé.e quant à chacune de mes phrases. La langue française m’impose de choisir. Et si je veux parler de moi au neutre ? Suis-je féminine alors que mon vagin est masculin ? » Sorour Darabi présente Farci.e, solo résultat de sa recherche menée dans le cadre du Master Ex.e.r.ce, au CCN de Montpellier. Ça (pour saisir un neutre) risque de faire des vagues.
 

« Juste danser »  pour danser juste ?

On verra à Montpellier certaines compagnies qui ont écrit l’histoire contemporaine de la danse. Jacopo Godani amène la compagnie de Francfort/Dresde, créée par William Forsythe, vers de nouveaux horizons, sous un nouveau nom.  Le Ballet Cullberg invite Deborah Hay qui invite Laurie Anderson…

La politique, la religion, et même les sports sont devenus des facteurs qui divisent, au lieu de créer des liens. Et pourtant, quelque chose unit les pays autour de la Méditerranée : Leur ensoleillement naturel. Emmanuel Gat crée Sunny et renouvèle la moitié de ses danseurs. On peut être curieux de la manière dont cela changera, ou pas, le résultat artistique, alors que Awir Leon, jusque-là danseur au sein de la compagnie, compose la musique électronique pour Sunny.

 

La nouvelle création de Gat est l’une des rares pièces du festival à explorer le mouvement comme une danse pure. Exception partagée avec Le Syndrome Ian, création de Christian Rizzo qui explore l’univers du clubbing ainsi qu’avec la pièce de Deborah Hay pour le Cullbergalletten, intitulée Figure a Sea (sans forcément viser la Méditerranée). Et Gat de créer « sans thème préalable ou parti pris pour inventer de nouvelles règles de jeu » pendant que chez Hay, avec le Cullberg, on ne verra « pas de conflits homme-femme, de fil conducteur ou de mouvements codifiées. Il n’y a rien d’autre que de la danse et de la chorégraphie », explique Gabriel Smeets, directeur artistique de la compagnie. Mieux: « Les danseurs adorent travailler avec Deborah Hay parce que son travail n’est que de la danse. »

Faut-il comprendre que les chorégraphes, toujours à l’affut d’un sujet qui fera parler d’eux, abusent des danseurs qui, eux, ne rêvent que de pouvoir se fondre pleinement dans la relation corps-temps-espace ? Tout dépend de la nature de la relation entre la/le chorégraphe et les interprètes. Si les interprètes étaient régis par un devoir de neutralité, il ne resterait que le solo pour aborder les forces qui traversent à la fois l’intime et la société. Cette édition de Montpellier Danse montre justement à quel point les deux sont liés. Sharon Eyal qui présente sa dernière création, OCD Love, le dit clairement: « OCD Love est ma première vraie création. Ça venait des tripes, peut-être que c’était trop cristallisé en moi et j’avais besoin que ça sorte. »
 

Cheminements

Avant toute autre chose, les chorégraphes invités se retrouvent autour de la nécessité de comprendre d’où on vient et de savoir où on va.  Des origines et du chemin, il est explicitement question chez Andrés Marin et Kader Attou qui présentent Yatra, « voyage » en sanskrit.

Taoufiq Izeddiou part du souvenir de son premier solo dansé pour interroger les parcours de vie autour des sources de la spiritualité, en opposition à la religion. Les uns mènent à la paix et la sagesse alors que d’autres poussent vers la violence. Le solo En Alerte sera une sorte d’autoportrait à travers les sons qui accompagnent Izeddiou dans sa vie: « Depuis mon enfance, je baigne dans des univers sonores très différents et très particuliers. »

Salia Sanou, dans Du désir d’horizons, et Dimitris Papaioannou dans Still Life se penchent sur les cheminements de ceux qui sont jetés sur les routes ou dans la désespérance. L’enquête sur la perte de repères peut mener dans les camps de réfugiés, ou Sanou est allé à la rencontre des migrants, ou bien ils mènent nulle part comme celui de Sisyphe qui a inspiré Papaioannou, qui y voit sans doute des parallèles avec la condition des artistes en Grèce: « La chose absurde est qu’il est difficile de construire quoi que ce soit ici. La continuité est moindre. Vous devez recommencer du début à chaque fois. »

 

« Je cherche à comprendre comment les origines et l’idée d’identité peuvent être manipulées », dit Hooman Sharifi qui dirige désormais Carte Blanche, la compagnie nationale norvégienne. Mais il continue à créer avec sa propre Impure Company. Sa nouvelle pièce, Les morts continuent de vivre car ils apparaissent en rêve aux vivants ne reprend pas forcément le gore de Richard III de Shakespeare. Sharifi songe plutôt à Roméo et Juliette, si ce n’est à Adam et Eve…

Pendant ce temps, venu du Québec, Le Patin Libre ouvre des nouvelles voies au patinage artistique, comme le nouveau cirque a su révolutionner les arts de la piste. Leur coup de maître ouvrant le patinage à la danse contemporaine donne lieu à une expérience inédite : Montpellier Danse se déplace dans une patinoire, où la température sera comparable à celles dans les bâtiments hyperclimatisés en Amérique ou en Asie. Il faut donc amener une petite laine…

 

Ensuite, le festival de danse cache un festival de film, avec un focus sur le cinéma iranien et un autre autour de la danse, avec le fameux Desert Dancer retraçant l’histoire d’Afshin Gaffarian (chorégraphies d’Akram Khan), et avec, côté Israël,  Dancing in Jaffa. Et puis, un documentaire sur le travail de Salia Sanou avec les réfugiés maliens au Burkina Faso, et aussi le documentaire de Philippe Lainé sur Robyn Orlin et sa création pour l’Opéra de Paris, en 2008, accompagné de Water… anything can happen, tout nouveau film-opéra de Robyn Orlin et tant d’autres films à l’engagement sociétal fort. Ce festival cinématographique intitulé Filmer malgré tout répond à la table ronde autour de la situation de la danse dans les pays de la rive sud : Danser malgré tout.

La forte présence du septième art s’inscrit dans un intérêt confirmé et grandissant pour le numérique et les arts visuels. Le festival ouvre avec Collective Mobile Mapping Montpellier, une exploration de l’architecture par un dispositif interactif basé sur le mapping, où les visiteurs peuvent manipuler des projections à partir de leurs smartphones. Et sur son site internet, le festival fait un effort pour mieux éclairer se propositions grâce à la mise en ligne de vidéos, fichiers son (interviews) et articles.

Thomas Hahn

Montpellier Danse 2016, du 23 juin au 9 juillet
http://www.montpellierdanse.com
 

 

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