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Park Park ou le Gagok détourné
Park Park est un collectif artistique étonnant qui tire de l’art traditionnel du Gagok des formes contemporaines étonnantes et percutantes, sans rien perdre du lien étroit entre la musique et son auditoire. Au contraire, Park Park trouve de nouvelles voies pour atteindre le spectateur dans son intimité.
Le Gagok est une tradition musicale encore vivante, une forme apparue au XVIIIe siècle et d’abord pratiqué dans les salons. Dans la tradition pure, on chante des odes brèves, forme poétique que Park Park revisite ici sur des motifs contemporains, s’accordant même le droit à un style un brin provocateur, y compris par des allusions sexuelles. Cela peut même se chanter à l’oreille du spectateur, qui est, dans No longer Gagok : Room 5 ↻, plutôt un visiteur solitaire, reçu en face à face dans une suite de petits espaces séparés.
Cette première expérience française a été toute aussi intéressante pour les artistes : « Le comportement du public français est très différent des Français. Ici, beaucoup sont émus, parfois jusqu’aux larmes, alors que beaucoup de spectateurs coréens aiment faire des selfies avec nous. »
No longer Gagok est une série de créations qui déconstruisent cet art vocal et poétique, peut-être comparable aux Lieder de Schubert. Park Minhee, chanteuse, compositrice et directrice artistique du projet, réinvente le rapport au spectateur selon des principes qui sont, en Occident, non seulement trop rares mais surtout, réservés aux recherches expérimentales.
Dans No longer Gagok : Four nights, elle place le public en cercle et dans un désordre apparent, pour se mettre en scène sur un siège surplombant l’aire de jeu, comme en pleine nuit, sous la pleine lune. Mais elle peut aussi placer les cinq performers dans un castelet, le cadrage cachant telle tête, tels pieds. Le mélange de chants déchirés et de mélodies déconstruites ressemble aux compositions de Georges Aperghis.
Quand les trois chanteuses interprètent des échos d’airs traditionnels sur des instruments contemporains et entonnent des vers - écrits par Park Minhee - du style « Hier soir j’ai croisé un bel homme.../.../ j’ai t...é un bel homme », elles peuvent tout à fait s’attirer les foudres des gardiens de la tradition.
« Cependant, les Coréens ne peuvent comprendre les textes, puisque nous ralentissons la diction à l’extrême, au point que même les Coréens ne peuvent comprendre les textes qu’en les lisant après le spectacle. » Park, qui dit être férue du théâtre de Claude Régy, aime à expérimenter le mouvement du son dans l’espace.
La danse arrive au dernier tableau quand le mouvement reprend le rythme d’un chant traditionnel : « Dans la musique du Gagok, il y a des sons dits positifs et des sons dits négatifs. Ces derniers sont seulement ressentis à l’intérieur de soi, mais pas émis », explique Park qui transpose ce principe dans la gestuelle des danseuses, de telle façon que « chaque geste découle directement de l’énergie du son correspondant. »
Cela donne au corps une présence diaphane, méditative, secrète et mystérieusement silencieuse, comme pour une cérémonie intimiste, alors qu’une bonne partie du vocabulaire gestuel nous est parfaitement familier, correspondant aux révolutions dans la danse occidentale depuis les années 1970.
Park est une artiste complète qui signe tous les éléments de ces spectacles, aussi profonds que limpides: Chorégraphie, musique, textes, costumes, scénographie, mise en scène… L’unité entre tous les éléments est parfaite, et pourtant ses créations, mêlant musique, danse et théâtre, navigant entre tradition et avant-garde, sont si inclassables qu’elles peinent à trouver une porte ouverte dans le paysage culturel coréen. Le jour où cela changera, la Corée aura changé d’ère artistique.
Thomas Hahn
Spectacles vus à La Parole Errante le 4 juin 2016 dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis
http://rencontreschoregraphiques.com/festival/parkpark
http://rencontreschoregraphiques.com/festival/parkpark_1
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