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Les Rencontres Chorégraphiques de Seine-Saint-Denis 2016
On peut être surpris de voir Anita Mathieu accueillir un CCN aux Rencontres Chorégraphiques, festival dédié plus que tout autre à la recherche, aux découvertes et aux surprises. Une révolution ? Elle serait surréaliste ! L’ascension de Marcos Morau, dernière coqueluche en contemporaine, est un phénomène intéressant, mais ni révolutionnaire, ni surréaliste. Le jeune chorégraphe espagnol s’est forgé une écriture personnelle, audacieuse et engagée. Avec sa troupe espagnole La Veronal, il est devenu incontournable pour les grands festivals et était à l’affiche, en avril dernier, au Théâtre National de Chaillot.
Une ouverture, tambour battant
Morau appelle sa création pour le Ballet de Nancy Le surréalisme au service de la révolution. Il y est question de la condition humaine, du corps de ballet, de romantisme (et donc de la décadence menant à la révolution) et peut-être même de surréalisme. Mais cette pièce confronte tout ça à une évocation des processions des Pénitents blancs (sous leurs capuches style Ku Klux Klan) et donc à une sorte de recherche de dépassement ritualisé, soulignée par les gros tambours qui envahissent la scène.
Il partage l’affiche de cette ouverture avec Cindy Van Acker qui signe avec Elementen I - Room sa première pièce pour une compagnie de ballet. Elle y part de I am sitting in a room d’Alvin Lucier qui transforma, en 1969, un texte en bourdonnement musical, simplement en étant assis dans une pièce pour diffuser l’enregistrement de son texte, l’enregistrer de nouveau, diffuser cet enregistrement, l’enregistrer à son tour, etc. etc. Créée pour le Ballet de Lorraine, la chorégraphie de Van Acker ne trouve pas de lien organique avec ce classique de la performance sonore. C’est compréhensible. Mais les danseurs de la troupe de Nancy passent par une panoplie de postures et d’unissons qui nous promènent de l’animalité vers la discipline militaire et tant d’autres confins de la conscience humaine. (lire notre critique)
Un festival très rythmé
La double affiche du Ballet de Lorraine est précédée d’une création d’Eleonore Bauer avec l’Ensemble Hictus. Meyoucycle, jeu de mots sur Musical, sera l’une des nombreuses pièces des Rencontres avec musiciens sur scène. La présence d’Ictus ne tombe pas du ciel. Cet ensemble est, comme l’était Bauer, lié à P.A.R.T.S. et Anne Teresa De Keersmaeker. Dans Meyoucycle, Ictus, ensemble qu’on vient de voir au Centre Pompidou dans Work Travail Arbeid, est réduit à trois musiciens, avec forte concentration sur la section rythmique.
Ce festival commence avec un ensemble musical en piste, et il se termine de la même façon. Le duo Summer Music accompagne les quatre danseurs de iFeel3 de Marco Berrettini, qui est lui-même l’un des deux musiciens. Danse, texte et jeu, musique et symboles se réunissent pour nous suggérer, avec une ironie douce, que le monde, érigé en système, est absurde et peut-être même un asile de fous. Il y a là quelque chose d’un remake joyeusement burlesque de May B de Maguy Marin.
L’accompagnement live des danseurs a le vent en poupe, dans tous les recoins du paysage chorégraphique. C’est pourquoi la question du rythme est très présente au sein de cette édition des Rencontres Chorégraphiques, chez Bauer comme chez Morau et tout autant chez la cover-girl de cette édition, Malika Djardi (c’est elle qu’on voit sur l’affiche). Dans Horion, elle se lance dans une recherche sur le geste qui découle du rythme musical quand les coups musicaux du batteur Nicolas Taite sont à l’origine d’une gestuelle qui crée la chorégraphie interprétée par Djardi et Nestor Garcia Diaz. Aussi, leur duo interroge le lien entre le geste et la musique, entre le rythme et le sens, entre l’abstraction et le burlesque.
Djardi et tant d’autres interrogent le rythme qui, dans son lien au geste et à l’intime, détermine la relation entre les êtres. Et tout se joue à travers la relation au temps, comme dans Time takes the time time takes de Guy Nader et Maria Campos : Le temps prend le temps qu’il prend. C’est lui qui est la mesure de toutes choses, depuis qu’on le mesure. Ce quintet accompagné d’un musicien part d’une oscillation pendulaire pour suggérer un mouvement perpétuel de balancier. Un phénomène de contrôle ou de lâcher-prise ?
Et quelle serait la danse la plus rythmée au monde ? Le flamenco, bien sûr. Alberto Quesada est un Catalan ayant rejoint le vivier chorégraphie de Bruxelles. C’est en artiste européen et contemporain qu’il aborde, avec le Hongrois Zoltan Vakulya, les structures rythmiques de la baile jondo andalouse. Leur duo OneTwoThree OneTwo annonce dès son titre sa velléité analytique. 123-123-12-12-12 n’est autre que la séquence rythmique fondamentale du flamenco.
Quand on parle de musique live et de rythme, la fête n’est jamais loin. On trouve dans cette édition des Rencontres Chorégraphique tout un volet qui fait le lien entre création artistique et pratique de la danse comme plaisir personnel. Et il faut bien sûr parler du Boléro qui vient de tomber dans le fameux domaine public. Alors que l’œuvre de Ravel est déjà omniprésente, on attend désormais que ça redouble d’intensité. Mais ce n’est pas ce que Cristina Rizzo a en tête quand elle nous fait tourner la nôtre, grâce à son Boleroeffect. L’Italienne revisite le Boléro de Ravel avec sa ritournelle lancinante par les rythmes effrénés du style dancehall, dans le but, très offensivement défendu, de pousser le bouchon jusqu’à l’épuisement.
La Suissesse Marie-Caroline Hominal vient avec Taxi-Dancers, un quatuor féminin sur l’engouement pour la danse chez des taxi-girls dans l’Amérique des Roaring Twenties.
Arno Schuitemaker (Pays-Bas) envoie deux hommes sur le plateau pour s’envoler, sur une musique électronique répétitive de Wim Selles, dans une énergie centrifuge des bustes et des bras.
Et puis, vers où se laisseront porter Viktoria Andersson et Sara Tan, dans no.W.here de Frank Micheletti/ Kubilaï Khan? Musiques et vidéos mixés live par Micheletti et Jean-Loup Faurat leur ouvriront les espaces intérieurs nécessaires pour basculer de l’ici-et-maintenant vers le nulle-part d’un état inconnu.
Venu d’Amsterdam, Michele Rizzo, danseur et chorégraphe mais aussi enseignant universitaire, nous emmène dans l’univers du clubbing. Sur des musiques ultra-communautaires mais passées de mode (Gabber, Hard Style, Tecktonik), son duo Higher pose le clubbing en genre artistique en révélant sa puissance cathartique.
Et le public pourra se rapprocher de cette puissance-là en son propre corps, quand la chorégraphe canadienne Ula Sickle et la DJ Daniela Barshan (Baba Electronica) viennent avec Extended Play, pièce où les spectateurs sont même invités à entrer dans la danse, pour chercher une transe collective! Mais on peut aussi se coucher au sol pour se laisser emporter par le mix musical performé en direct.
Révolutions asiatiques
L’Asie est une terre de mutations, où l’écho des traditions résonne à travers les distorsions du présent. La Corée du Sud toute entière est engagée dans une réflexion sur l’élasticité du lien entre son passé et son avenir. L’incontournable Année France-Corée a offert à Anita Mathieu la possibilité de composer un festival dans le festival, où six jeunes chorégraphes séoulites revisitent les arts traditionnels de leur pays. On y rencontre donc des regards contemporains sur des saltimbanques populaires, sur le chant lyrique ou bouddhiste, sur le théâtre masqué ou les contes et rituels. Six formes brèves, et percutantes.
Une seule Coréenne invitée contourne cette dialectique. Park Sang-Mi est contorsionniste et interroge l’animalité de l’humain, nos fantasmes et la relation entre le corps et nos rêves. Avec elle, cet art du corps asiatique dépasse la prouesse circassienne et atteint une dimension métaphorique.
Et c’est un Taïwanais qui remporte la palme technologique de cette édition. Chieh-hua Hsieh transforme la danseuse-interprète de Second Body en une créature virtuelle, en l’enveloppant d’images de synthèse. Mais progressivement, les projections gagnent en autonomie, telle une version numérique de l’ombre qui avale son maître. La danseuse est-elle encore elle-même ? Jusqu’où continue-t-elle à revendiquer son statut de danseuse, sous la l’éclat des projections interactives ? Le réel et le virtuel peuvent-ils ne faire qu’un ?
Thomas Hahn
Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis
Du 11 mai au 18 juin 2016
http://rencontreschoregraphiques.com/festival
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