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Concordan(s)e: Les écrivains danseurs
Plus aucune discipline artistique n’empêche l’accès aux exploits physiques. La prolifération des salles de yoga y est-elle pour quelque chose ? Le fait est que les premiers à se faire ainsi remarquer, étaient les chanteurs d’opéra. Leur nouvelle génération est capable de chanter en se roulant par terre, d’exécuter des acrobaties et autres prouesses physiques sans rien céder de leur force vocale. Un autre-ténor est possible et par ailleurs, la soprano est de plus en plus contorsionniste.
En revanche, personne n’avait jamais demandé aux écrivains de performer sur scène, et surtout pas en face à face avec des artistes chorégraphiques. Mais de plus en plus souvent ils s’en sortent comme des pros. C’est d’autant plus étonnant que certains de ces stylistes de l’écriture acceptent la mission Concordan(s)e sans être conscients de l’obligation d’être en scène.
Entre Delaunay et Prudhomme, It’s a match
A l’arrivée, tout est affaire de complicité. Les rencontres provoquées par Concordan(s)e ne peuvent pas toujours créer effervescence et amitiés. Mais quand on observe avec quel plaisir un Sylvain Prudhomme se plie aux idées plastiques et parfois loufoques de Raphaëlle Delaunay, on se dit qu’il n’y a pas que les artistes chorégraphiques qui sont capables d’écrire avec le corps. Les réflexions sur la situation, leur rencontre, le couple et l’amour fusent de la bouche de l’écrivain comme s’il avait toujours été acteur.
Delaunay a créé des métaphores physiques et spatiales pleines d’esprit et de finesse, sans s’interdire des moments presque grotesques. Et parfois ça mord, ça pousse, ça taquine. « Pourquoi on cherche à être deux plutôt qu’un ? » Trouver un équilibre à deux est aussi beau que précaire, mais le plaisir est dans cette recherche, justement. Les deux corps le prouvent bien et Delaunay a l’intelligence de pousser Prudhomme à ses limites physiques, sans aller au-delà. Aussi il devient un agrès pour les acrobaties de la chorégraphe, façon douce de se glisser dans le rôle du porteur. Et la voltigeuse de le pousser: « Allez, parle de Schopenhauer! »
Alors, il ne donne en rien l’impression de réciter un texte, mais de l’inventer tel un impromptu philosophique, et sa diction volontairement hésitante suggère un processus de réflexion en plein cours. En quelque sorte, cette impression ne trompe pas. Ce duo évoluera au gré des représentations qui ne donneront jamais qu’un aperçu de l’état actuel de cette recherche ludique.
Zéro, Un, Trois, Cinq, jeux de piste
Et si on est déjà deux ? Non seulement Edmond Russo et Shlomi Tuizer ne peuvent que se produire ensemble, mais en plus ils peuvent être présents tout en étant parfaitement ailleurs. Dans Zéro, Un, Trois, Cinq , le deux n’était pas prévu. Et pourtant, c’est un duo qui interprète cette pièce, annoncée comme un trio. Mais qui manque à l’appel ?
Les deux interprètes donnent l’impression d’avoir une longue pratique commune de la danse. Et le faux Shlomi Tuizer qu’on voit en scène ressemble tout à fait au vrai. En plus, il est véritablement interprète au sein de la compagnie Affari Esteri de Russo/Tuizer. En vérité il s’appelle Julien Raso. Et son partenaire, faux Edmond Russo aux vraies capacités de danseur n’est autre que l’écrivain, Bertrand Schefer. C’est donc le duo de chorégraphes au grand complet qui est absent, car indisponible. Et si Schefer, traducteur de littérature italienne, dans le rôle d’un chorégraphe italien, était le dédoublement de Russo ? Le duo devient-il trio ? L’écrivain devient-il un ghostwriter ?
Pourtant, Jean-François Munnier assure que ce jeu troublant n’était pas prévu. Juste si l’écrivain en question pratique les arts martiaux ce n’est qu’une coïncidence, mais elle fait que Schefer a pu se glisser dans la peau du chorégraphe sans la moindre difficulté. Le résultat en tout cas le suggère.
Le texte de Schefer, d’une sobriété toute durassienne, relate la rencontre avec les chorégraphes. Selon ce qu’on entend, la citronnade bio fut excellente. La voix est belle, et Schefer a ça pour lui aussi, en dehors d’une danse assumant avec élégance et véracité un face à face parfois très rapproché. Raso et Schefer impressionnent en jouant de leur fragilité, créant un espace poétique de belle unicité aérienne entre les mots, la voix et les corps.
Thomas Hahn
Spectacles créés le 25 mars 2016 au Colombier de Bagnolet
A revoir notamment le 12 avril à la Maison de la Poésie
http://concordanse.com/Raphaelle-Delaunay-choregraphe-Sylvain-Prudhomme-ecrivain
http://concordanse.com/Edmond-Russo-Shlomi-Tuizer-choregraphe-Bertrand-Schefer-ecrivain
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