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« Everyness » de Wang / Ramirez
Everyness est appelé à prendre la relève de Borderline, pièce à succès de Honji Wang et Sébastien Ramirez. Plus grand, plus chic, ce nouvel essai chorégraphique intègre les arts plastiques et montre que le couple franco-berlinois affine sa maîtrise du plateau.
Entre espoir et échec amoureux, entre passion et amitié, entre l’horizontale et la verticale, cette pièce ne prend pas partie, mais garde toutes les portes ouvertes. Ils avaient annoncé une nouvelle dimension dans la présence du gréage comme élément scénographique structurant, dans la continuité de Borderline, leur pièce précédente. Ce qu’ils confirment par le premier tableau, où deux hommes survolent la scène à basse altitude, suspendus aux filins. Et autant aimeraient-ils s’envoler, ou au moins se rejoindre, leurs rênes élastiques arrêtent chaque tentative, et la belle utopie en apesanteur se solde par la violence d’un bond en arrière.
Et puis, fin de la suspension. La scénographie n’est pas faite de filins traversants, mais d’une énorme boule blanche, suspendue au milieu du plateau nu. Oscillante ou pivotante, éclairée de l’intérieur sans être transparente, cette sphère solide peut s’écraser au sol ou se déstructurer doucement, pour prendre une forme d’igloo, de méduse ou de visage humain géant. Cette sculpture molle, gonflable et transformable, est l’œuvre de Constance Guisset, plasticienne, designer et scénographe qui n’en est pas à sa première collaboration chorégraphique, ayant réalisé, pour Angelin Preljocaj, entre autres les décors de Les Nuits.
Everyness n’est donc pas un Borderline bis, mais une sorte d’estuaire artistique, où se réunissent les affluents des trois créations précédentes de ce couple hautement international. De Monchichi, ils reprennent l’interrogation sur la relation amoureuse ainsi que la présence d’une sculpture centrale sur le plateau (dans ce duo fondateur de leur carrière de chorégraphes il s’agissait d’un arbre).
"Everyness" - Wang / Ramirez © Ghostographic
De Borderline, on retrouve un bout de l’envol et de l’animalité aérienne rendues possibles grâce à la suspension, ainsi qu’une recherche sur le lien entre le mouvement en apesanteur et celui des B-boys. Enfin, revoilà ce jeu du dédoublement, mettant Honji Wang face à une Christine Joy Ritter coiffée à l’identique, ce qui rappelle Felahikum, troublant duo de Wang avec Rocio Molina.
La confluence de ces éléments débouche sur des perspectives scéniques de grande clarté, les géométries du blanc et du noir créant des images qui résonnent dans un dépouillement aux influences asiatiques. La boule blanche, parfois habitée de l’intérieur par l’un des six danseurs, est une surface de projection de nos rêves intimes, symbole de légèreté et de fertilité en même temps, mais aussi d’un pouvoir supérieur, entre menace et protection, émettant des sons profonds, puissants et inquiétants dès qu’on en touche la surface.
Autour de ce geste de plasticien, se croisent et se rassemblent les humains, dans leurs relations de couple ou d’amis, amoureux, furieux ou solidaires. Ramirez est, dans son costume de soirée (autre clin d’œil à Monchichi), plutôt déchiré entre les deux facettes de sa bien-aimée, l’une en robe rose, l’autre en bleu. Et Wang de porter, telle une croix, la peau de la belle sculpture, dégonflée comme une bulle spéculative ou comme une robe de mariée, soudainement pesant des tonnes.
Les espoirs amoureux et la complexité des relations réelles, parfois violentes, sont mis en scène à travers un langage chorégraphique qui suspend le corps dans une demi-apesanteur. Cet état n’est pas étranger aux B-Boys, mais ils doivent ici basculer en direction de l’horizontale, au sol autant qu’en l’air. Et Everyness s’achève sur des envols stupéfiants autour et au-dessus de la sphère blanche, qui a retrouvé sa pleine forme.
Thomas Hahn
Spectacle créé le 9 février à L’Archipel de Perpignan
Direction artistique et chorégraphie : Wang Ramirez
Interprétation : Salomon Baneck-Asaro, Alexis Fernandez Ferrera alias Maca, Christine Joy Ritter, Sébastien Ramirez, Thierno Thioune, Honji Wang
Dramaturgie : Roberto Fratini
Scénographie : Constance Guisset
Gréage : Kai Gaedtke
Musique originale : Schallbauer
Création lumière et direction technique : Cyril Mulon
Régie son : Clément Aubry et Jean-Philippe Barrios
Réalisation costumes : Linda Ehrl
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