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Liz Santoro / Pierre Godard : « Relative Collider » et « For Claude Shannon »

L’Atelier de Paris ouvre sa saison avec un temps fort autour de la chorégraphe américaine, présentant Relative Collider, For Claude Shannon et Maps du 4 au 6 octobre.

Liz Santoro est en train de créer la Silicon Valley de la danse, une sphère où s’expérimente l’hybridation entre l’homme, l’informatique et l’intelligence artificielle. C’est avec Relative Collider que son univers a connu son Big Bang sur la scène parisienne. For Claude Shannon, créé en 2016  au CDC Atelier de Paris développe une extension de cette recherche sur la relation entre le mouvement, les mots et l’informatique.

Santoro et Pierre Godard, chercheur en traitement automatique du langage, développent une approche aux allures scientifiques, où ils comparent les danseurs à des « atomes soumis à différents champs de force ». Ils font référence à la chimie organique, à une « expérimentation de l’entropie » grâce à l’application de systèmes et champs prédéfinis, etc.

Les danseurs étant régis par un système de motifs rythmiques et lexicaux, que leur reste-t-il en matière d’individualité à injecter dans cette implacable machinerie ? Au premier abord, étonnamment beaucoup. Mais cette résistance s’appuie aussi sur leur nombre restreint: Trois danseurs dans Relative Collider, quatre dans For Claude Shannon.

Un système clos

Chaque pièce est portée par une structure systémique, et leur ensemble, trois créations à ce jour, construit un supra-système où chaque création découle de l‘autre. Relative Collider se nourrit des « soixante-quatre positions de bras et de mains prélevées sur des photographies de We Do Our Best, spectacle créé en 2012 », expliquent-ils. Les mouvements minimaux jouent sur la répétition d’infimes variations. D’abord, les genoux. Ensuite, les mains et les bras, le tout accompagné du son d’un métronome, dont la vitesse semble pouvoir varier.

Relative Collider -  Liz Santoro et Pierre Godard © Ian Douglas

Au croisement des deux systèmes se superpose la génération d’un ensemble lexical, impulsé par les différents schémas cinétiques et soumis à un procédé aléatoire. Les schémas se croisent et prennent possession des corps. Cependant: « Si la pièce a tendance à aller vers plus d’énergie et de désordre, ce n’est pas par une volonté d’ordre narratif, mais par un fait de la thermodynamique. »

For Claude Shannon déploie et spatialise certains motifs de Relative Collider concernant les positions des mains, des bras et des jambes. Effet de loupe et inversion de la chaîne de causalité. Ici, expliquent-ils, « une séquence chorégraphique unique est générée aléatoirement à partir de la structure syntaxique d’une phrase de Claude Shannon. » Et ces phrases ne concernent pas les aspirations du corps mais la théorie de l’information et de la communication.

On retrouve l’ambiance très concentrée et studieuse (« Les danseurs commencent à apprendre la séquence [chorégraphique unique] deux heures avant l’entrée du public, et en poursuivent l’apprentissage pendant la représentation ») et ici aussi, les corps se libèrent progressivement, quoique timidement. Mais en fin de compte, il y a là encore moins de variation et de vitalité chorégraphique, les danseurs prenant des allures encore plus mécaniques.

For Claude Shannon - Liz Santoro et Pierre Godard © Patrick Berger

Quid de l’empathie ?

Après tant de recherches aspirant à une certaine objectivité, il faut cependant revenir à des questions purement subjectives auxquelles il est impossible de donner une réponse définitive. Une telle question serait par exemple: Qu’est-ce qu’une pièce de danse ? Les pièces de Santoro et Godard relèvent de la recherche fondamentale, et celle-ci est indispensable. Mais là où Merce Cunningham employait l’informatique pour élargir, grâce au logiciel Life Forms, les possibilités du corps en scène, l’approche de Santoro tourne en boucle et se contente de recombiner un vocabulaire ni novateur ni spécifique. Pas d’ouverture donc, mais fermeture sur soi.

Si la recherche fondamentale est indispensable, seule l’application de ses résultats s’adresse au public. Un laboratoire de recherche avec ses réponses (provisoirement) objectives ne saura se substituer à la subjectivité chorégraphique, condition sine qua non de la création d’empathie chez le spectateur.

La neutralité émotionnelle du système Santoro/Godard ne crée pas une densité suffisante pour permettre au spectateur de projeter un imaginaire sur les faits chorégraphiques observés. Et c’est vrai surtout pour For Claude Shannon, alors que dans Relative Collider, les sauts selon la rythmique du un ET deux trois ET quatre cinq ET six sept ET huit évoquent les danses traditionnelles. Mais l’effet de loupe sur la dynamique du genou ou les constellations des membres restent à l’état du constat. Nous sommes bien au laboratoire. Reste à vulgariser les résultats de la recherche. Mais comment ?

Dans le meilleur des cas, une pièce de danse permet au spectateur de vivre une expérience. Celle-ci est cependant émotionnelle et sensorielle, pas scientifique. Comment sortir de cet enclos systémique que Santoro et Godard comparent aux « grands anneaux accélérateurs de particules »? Comment réenchanter cet esprit analytique ? Une réponse possible serait d’aller vers un dispositif interactif permettant au spectateur de prendre activement le pouls des « variations du niveau d’énergie et d’entropie (mesure du désordre) », à l’instar d’un William Forsythe, passé maître dans l’art de créer des dispositifs interactifs (Choreographic Objects) à partir de réflexions scientifiques.

Thomas Hahn

Relative Collider : 4 octobre à 20h30
For Claude Shannon : 5 octobre à 20h30
Maps : 18h + dîner Un artiste à ma table
Atelier de Paris CDCN

For Claude Shannon
Conception : Liz Santoro et Pierre Godard
Musique : Greg Beller
Costumes : Reid Bartelme
Lumière : Sarah Marcotte
Avec : Marco D’Agostin, Cynthia Koppe, Liz Santoro, Teresa Silva
Créé le 2 janvier 2016 , CDC Atelier de Paris-Carolyn Carlson

Site compagnie : http://lpdi.org
 

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