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« Scarlett » d’Arthur Perole à Faits d’Hiver
Une image faite de quatre corps et de leurs reflets. Un miroir au fond, inclinable et transformable, des silhouettes noires caressées par de douces lumières et soumises au regard du guitariste-compositeur, debout devant son pupitre, tournant le dos au public et contemplant trois filles et un garçon, pour trouver dans leur sensualité une inspiration musicale.
Curieuse constellation que celle où un artiste, passeur auprès du public et quasiment son représentant sur le plateau, empêche en partie que les spectateurs puissent voir la danse. Mais il introduit dans notre regard un soupçon de distanciation qui in fine augmente l’empathie avec les interprètes chorégraphiques.
Dans Scarlett, la relation entre musique et danse serait donc inversée, pouvant s’interpréter de la façon suivante. Ce ne serait pas l’homme au pupitre qui dirige l’orchestre, fut-ce une philharmonie des corps. Au contraire, les danseurs formeraient, ensemble, une sorte de chef d‘orchestre pour ce compositeur.
Est-ce vrai, est-ce faux ? La relation entre les corps et le son pourrait être comparable à celle de la motion capture, où les capteurs activent les algorithmes d’une banque de données sonore ? Au bout du compte, la direction dans la chaîne cause-effet importe moins que la sensation d’un réel échange entre créateurs. Et ça fonctionne, les cinq créent une relation vivante. Aux limites de la fusion, engagés dans des ralentis aux limites du maîtrisable (où l’ombre de Myriam Gourfink pointe son nez), investissant une verticalité fluide et sensuelle, les corps ondulent longuement sans se déplacer dans cet écrin, comme vêtus de satin noir.
Déesse antique ou icône pop ?
Reste la question: Qu’est-ce qu’une muse ? Inspiration diffuse et infuse pour l’artiste ou choc visuel ? Les poses de telle ou telle icône de l’histoire de la peinture, de la sculpture ou du cinéma, invoquées ici comme source d’inspiration, donnent à penser que la muse est avant tout une image, un stimulus visuel. Impression renforcée par le soin du jeu des neuf miroirs, positionnés tels des moniteurs en studio de télévision, renvoyant à la tentation narcissiste autant qu’à notre environnement médiatique.
La nonnette grecque des filles de Zeus est ici représentée par un quatuor, dont un garçon, puisque ceux-là aussi sont capables d’inspirer les créateurs. Esthétisé avec goût, tout en laissant des espaces à l’incertitude, au non contrôlable et donc à l’authentique, le tableau principal de Scarlett ne manque ni de beauté ni d’attirance.
Mais fallait-il noyer la sobriété du spectacle dans ce discours un peu confus sur « où l’égérie dépasse l’œuvre pour en devenir l’icône », ou « cette nouvelle place qu’elle acquiert, accentuée par tous les nouveaux outils de représentation (photographie, internet, télévision, presse…) rend encore plus palpable la dualité qui existe dans sa façon de se représenter», etc...? Fallait-il mettre sur un même plan les muses et les égéries, les facultés artistiques et les excès de représentation médiatique ?
Désir d’images
Au bout du compte, la métaphore visuelle dans Scarlett nous parle avant tout du regard des hommes sur les femmes, le prénom de Scarlett étant devenu une sorte d’incarnation de la féminité. Quand un écrivain (Grégoire Delacourt dans La première chose qu’on regarde) construit un roman autour de l’image d’une célébrité (Scarlett Johannson), on est peut-être là où Perole vise une époque où « la muse n’appartient plus seulement au regard de l’artiste qui la révèle mais à la société qui se l’approprie pour en faire un modèle. » Sauf qu’une icône, fut-elle hollywoodienne, ne fait pas une muse. Plus d’égard aux muses antiques et moins de hype autour d’images prêtes à la consommation rapide, et il y aurait moins de confusion entre arts et divertissement.
Scarlett n’élude pas la question du désir charnel, mais nous parle avant tout du désir d’images, et le fait est que l’invasion iconographique de la vie actuelle produit le contraire d’inspiration artistique. Perole voit donc juste en créant un tableau dominant, image métaphorique du jaillissement de l’inspiration, lui offrant tout le temps nécessaire pour se déployer en détail, et marquer les esprits.
Thomas Hahn
Chorégraphie : Arthur Perole avec l’aide des interprètes
Interprétation : Marie Barthélémy, Pauline Bigot, Cindy Emelie, Steven Hervouet
Musique : Giani Caserotto
Scénographie : Samuel Aden
Lumière : Guillaume Fesneau
Costumes : Catherine Garnier
Photos Nina-Flore Hernandez
Prochaines dates:
20 février à 18h / Spectacle / Festival Les Hivernales (Avignon)
26 février à 20h / Spectacle / Théâtre de Grasse
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